Cinexpress #211 – La Isla Mínima (2014)
Conseillé depuis longtemps, introuvable depuis, La Isla Mínima demeurait inaccessible jusqu’ici. Un passage sur ARTE et un visionnage en replay m’auront permis de découvrir ce polar espagnol très intéressant auquel je ne regrette pas d’avoir consacré une heure et demie.
Fiche du film
- Genre : Policier, Thriller
- Réalisateur : Alberto Rodríguez
- Année de sortie : 2014
- Casting : Raúl Arévalo, Javier Gutiérrez, Antonio de la Torre
- Synopsis : En 1980, dans une petite ville du sud de l’Espagne, des adolescentes sont assassinées. Deux détectives aux convictions différentes sont chargés d’enquêter. (senscritique.com)
Critique et Analyse
Fatalement, lorsque l’on connait la série, il est presque inévitable de faire un parallèle entre La Isla Mínima et True Detective. Ce retour dans le passé, ce duo, cette atmosphère, cette affaire sordide… On retrouve les mêmes ingrédients qui ont fait le succès et la réussite de la série. Bien sûr, considérer La Isla Mínima uniquement comme un True Detective espagnol est assez réducteur et facile. Dans sa construction, le film d’Alberto Rodriguez suit le même schéma, avec la narration de ce quotidien difficile et cette progression laborieuse dans une enquête qui ne cesse de se heurter à des murs. Cependant, La Isla Mínima puise sa force dans son contexte et son approche de cette période de troubles pour l’Espagne, qui dote le film d’un référentiel plus riche et varié.
« Cette vision d’une Espagne en reconstruction, après la chute du franquisme et la laborieuse mise en place de la monarchie parlementaire, ouvre la voie à de nombreux discours sur des questions de justice et sur la nature humaine. »
Cette vision d’une Espagne en reconstruction, après la chute du franquisme et la laborieuse mise en place de la monarchie parlementaire, ouvre la voie à de nombreux discours sur des questions de justice et sur la nature humaine. La difficile transition du franquisme à la démocratie espagnole moderne se sent dans tous les plans, dans les réactions des personnages et dans les dialogues. Tout ne s’est pas fait en un jour, loin de là, et on voit que le fantôme de la dictature hante encore les esprits. C’est ce ton très désabusé et plein de souffrances que l’on retrouve dans le Zodiac de David Fincher ou dans le Memories of Murder de Bong Joon-ho, des films qui s’appuient sur des contextes sociaux et politiques difficiles pour mettre en exergue les tensions qui habitaient la société à l’époque. On découvre alors un monde qui cherche à s’imposer des règles mais qui s’évertue à les bafouer, nous sommes à la frontière entre un monde primitif sans foi ni loi, et la construction d’une société moderne et structurée.
C’est pour cela que La Isla Mínima dispose d’une filmographie crépusculaire, avec des teintes chaudes et des jeux de lumière prononcés, visant à envelopper le spectateur dans une atmosphère lointaine et obscure. C’est à la fois la fin d’un monde et le début d’un nouveau, une imagerie et un discours que l’on retrouve notamment dans les westerns américains, qu’il s’agisse de La Prisonnière du Désert de John Ford, L’Homme des Hautes Plaines de Clint Eastwood, ou même le récent Hostiles de Scott Cooper. Le fond et la forme se mêlent pour que l’enquête, trame principale du film, soit transcendée par la vision sociologique d’Alberto Rodriguez et cette représentation d’une société balbutiante et anxiogène.
La Isla Mínima réussit donc le pari d’être un polar convaincant, un tableau d’une époque sombre pour l’Espagne, et de véhiculer un discours sur les bases poussiéreuses et sanguinaires sur lesquelles se sont construites la société moderne. L’intrigue est prenante, et la photographie est sublime, avec de nombreux plans qui méritent d’appuyer sur pause pour en profiter quelques instants, notamment les plans aériens, dont certains font penser, dans leur forme, à des coupes de cerveau humain. Une manière de montrer que l’on va bel et bien insister à un examen de la complexité de la nature humaine ? Dans tous les cas, voilà, encore, un film qui mérite d’être plus connu.
Note et avis
4/5
La Isla Mínima est un thriller captivant, superbe sur la forme et très intéressant sur le fond, avec un discours sur la difficile construction d’une société, et les meurtrissures d’un pays mis à terre par des décennies de dictature.
C’est sûr, si vous voulez vous détendre par ce beau mois de juillet, si vous voulez rigoler un bon coup, si vous voulez vous vider la tête, c’est sûr, « La Isla Minima »n’est pas un film pour vous! Par contre, si vous aimez les excellents thrillers -et je pèse mes mots!- précipitez-vous! Si vous considérez que le cinéma est un art et que l’esthétique vous touche au plus haut point, ne manquez pas ce film! Si vous aimez bien réfléchir, si la politique, sans qu’elle soit didactique, vous passionne, eh bien, oui, vous avez trouvé votre film de l’été…
« La Isla Minima » est effectivement un excellent thriller, qui lorgne du côté de « Killing Fields », le tout aussi excellent thriller américain, mais, ici, c’est la version espagnole, dans une Espagne post-franquiste, mais qui n’est pas encore débarrassée de ses scories fascistes. Ce n’est pas tant le scénario, relativement classique -des jeunes filles sont enlevées, torturées et violées et deux flics qui ne s’apprécient guère sont chargés de dénouer l’énigme-, qui est intéressant, c’est surtout la façon de raconter l’histoire qui est passionnante. Petit à petit, la tension monte, les plans sont d’une beauté stupéfiante, la musique porte au paroxysme l’impression d’étouffement, d’oppression, d’angoisse, qui submerge progressivement le spectateur…
Quant au reste, l’esthétique du film est éblouissante. Au début, dès les premiers plans du générique, on se croit en Amazonie en compagnie de Yann Arthus-Bertrand, avec des plans verticaux sublimes, qui vont d’ailleurs scander les différentes séquences du film. On va les retrouver, toujours semblables, mais toujours différents, donnant un autre point de vue sur l’action: on est Dieu le père, en train d’observer ces petites bêtes malfaisantes qui s’agitent en dessous. Mais rien de tout cela n’est gratuit! Tout est au service de l’action, y compris les flamants roses, qui accompagnent la progression de l’intrigue. Il y a un travail de toute beauté sur les cadrages, l’utilisation des couleurs, sur la composition des tableaux. Comme dans « Killing Fields », on est submergé par l’eau, constamment présente, entre bayou et Camargue, dans des lieux où terre et eau se confondent et où on ne sait plus très bien si on est sur la terre ferme ou dans le marais. En outre, comme si cela ne suffisait pas, la pluie se mêle à l’action pour nous perdre encore plus. De ce point de vue, le film est une totale réussite!
Enfin, comme dans tout bon polar qui se respecte, il y a le côté sociologique, politique, mais qui n’est jamais asséné. On laisse au spectateur la liberté de s’y reconnaître progressivement entre le flic ex-franquiste, tortionnaire au plus haut niveau, qui cherche à se faire oublier dans cette Andalousie marécageuse, et le jeune flic démocrate, qui s’est vu sanctionné dans ce petit village agricole où les meurtres se succèdent. C’est d’ailleurs probablement l’aspect le pus intéressant d’un film, qui, au bout du compte, est extrêmement riche dans de nombreux domaines. Les relations entre les deux flics sont minutieusement analysées, mais sans aucune lourdeur. Quant aux seconds rôles, ils sont, eux aussi, particulièrement approfondis.
Bref, « La Isla Minima » est une très belle réussite en même temps qu’une très belle surprise à cette période-ci de l’année!
Ai-je quelque chose à y rajouter ? Je ne crois pas ! :D
Très bonne journée !