Shin Godzilla (Hideaki Anno & Shinji Higuchi, 2016) – Critique & Analyse
Cela fait bientôt soixante ans que le légendaire Godzilla effraie les spectateurs des salles obscures, dans une trentaine de films qui ont varié les tons et les registres. C’est du côté des Etats-Unis que le monstre a fait son grand retour il y a dix dans, mais le Japon, d’où il est originaire, n’a pas tardé à s’y remettre également avec Shin Godzilla.
Fiche du film
- Genre : Action, Aventure, Drame
- Réalisateur(s) : Hideaki Anno et Shinji Higuchi
- Distribution : Hiroki Hasegawa, Satomi Ishihara, Yutaka Takenouchi
- Année de sortie : 2016
- Synopsis : Un raz de marée inonde une partie de la côte de Tokyo. Après avoir pensé qu’il s’agissait d’une catastrophe naturelle, les scientifiques se rendent compte que le responsable de ce désastre n’est autre que Godzilla, une créature géante prête à tout détruire sur son passage. (SensCritique)
Critique et Analyse
Ces réapparitions simultanées du titan permettent de découvrir deux points de vue, deux formes et deux visions de Godzilla. Gareth Edwards avait su lui offrir un beau retour après le contesté Godzilla d’Emmerich, cultivant le mythe et la majesté du monstre, incarnant là une forme de divinité œuvrant pour maintenir l’équilibre dans la nature. Chez Hideaki Anno et Shinji Higuchi, l’histoire est toute autre. La menace se dessine à coup de catastrophes successives, aux conséquences toujours plus désastreuses, jusqu’à ce que se dévoile la créature, dont les desseins semblent bien sombres. Mutant d’une forme aquatique, maladroite, presque embryonnaire, vers la forme qu’on lui connaît, Godzilla évolue devant nos yeux alors que les institutions japonaises tentent de prendre en main cette catastrophe soudaine et unique.
« Pas de Kaijū pour affronter Godzilla, mais une institution tentaculaire, monstrueuse dans son ampleur, habituée à tout contrôler, mais qui s’avère impuissante face à ce colosse qui rase tout sur son passage. »
C’est d’ailleurs à la réaction et la mise en branle de ces institutions que s’intéresse principalement Shin Godzilla, qui passera une grande partie de son temps à sillonner les couloirs, à nous faire assister à des réunions et à des cellules de crise faisant intervenir un nombre toujours grandissant de protagonistes dont on finit rapidement par oublier l’intitulé du poste. Shin Godzilla dévoile l’image d’une bureaucratie complexe, empêtrée dans ses propres enchevêtrements, devant assumer ses actes sans savoir quelle décision prendre, les points de vue et les décisionnaires variant trop pour parvenir à avancer vers des solutions concrètes. Pas de Kaijū pour affronter Godzilla, mais une institution tentaculaire, monstrueuse dans son ampleur, habituée à tout contrôler, mais qui s’avère impuissante face à ce colosse qui rase tout sur son passage.
Le monstre se dévoile ici dans une incarnation particulièrement cauchemardesque. D’abord relativement grotesque à sa sortie des eaux, le titan finit par trouver sa forme plus commune, plus menaçante et déstabilisante que jamais avec ses dents biscornues, ses yeux sans cesse écarquillés, et son silence permanent, ne faisant entendre que le bruit de ses pas énormes dans son processus de destruction inexorable. Les cris se feront rares, et lorsqu’ils résonnent, c’est toujours signe d’un drame à venir. Visuellement, le Godzilla de Shin Godzilla s’inspire de l’apparence du monstre d’origine, ici matérialisé en images de synthèse tout en ayant une motricité se rapprochant de celle d’un animatronique. C’est ce qui lui donne ce côté intimidant, surprenant, parfois presque daté, mais redoutablement efficace, surtout quand on considère la modestie de la production au niveau du budget, qui a su être optimisé au maximum.
Satirique, horrifique, spectaculaire, grotesque, Shin Godzilla ne manque jamais de surprendre. Très bavard de par son propos, le film se permet plusieurs moments suspendus dans le temps, où toute la puissance du géant peut s’exprimer, lui rendant ses lettres de noblesse tout en suscitant la terreur. Né de la peur de la menace nucléaire suite à Hiroshima et Nagasaki, Godzilla se réactualise également en invoquant Fukushima, traversant les époques qu’il accompagne de son immense stature. Succès retentissant au Japon, arrivé bien plus discrètement chez nous, Shin Godzilla a tout de même ouvert une nouvelle porte dans l’histoire du titan, poursuivant ses aventures en Amérique à grands coups de combats titanesques, et au Japon dans un nouvel opus s’annonçant sombre et sous tension : Godzilla Minus One.
Très juste regard sur ce film qui est à mon sens largement parmi les meilleurs de la saga. Une relecture moderne et ô combien pertinente du mythe de Godzilla, qui lui redonne tout son sens et surtout son effroi ! La scène du souffle atomique, à elle seule, peut s’inscrire au panthéon des films de kaijus.
Un avis pointu et dévastateur que je partage largement. Cette « résurgence » permet au plus célèbre Kaiju de frapper au cœur décisionnaire d’un État défaillant (et « tentaculaire », j’aime beaucoup cette métaphore). Il incarne comme toujours les vieux démons qui se réveillent, pour mieux secouer l’honneur et la fierté des forces vives. La réalisation épouse le flux d’informations actuel, forcément chaotique mais traité avec un cynisme parfois mordant. Avec « Godzilla minus one », les blockbusters de la Toho enterrent définitivement toutes les contrefaçons américaines.