L’Emigrant (Charlie Chaplin, 1917) – Critique & Analyse
Sur un bateau au confort sommaire, bringuebalant au gré des vagues qui le heurtent, une horde de délaissés a choisi de mêler son destin à l’inconnu. Quittant la pauvreté dans un élan de désespoir, les voici à l’approche des côtes du pays de la liberté et de l’espoir, prêts à démarrer une nouvelle vie. C’est leur histoire, son histoire, celle de L’Emigrant.
Fiche du film
- Genre : Comédie, Drame, Romance
- Réalisateur : Charlie Chaplin
- Année de sortie : 1917
- Casting : Charlie Chaplin, Edna Purviance, Eric Campbell
- Synopsis : Charlot émigre à New York, mais en arrivant il n’a ni travail ni argent. Lorsqu’il trouve une pièce par terre il décide d’aller au restaurant. (senscritique.com)
Critique et Analyse
L’Emigrant est un court-métrage de vingt-cinq minutes réalisé par Charlie Chaplin en 1917. Ce film plus que centenaire, sélectionné par la Bibliothèque du Congrès comme étant une œuvre « culturellement, historiquement ou esthétiquement significative », nous conte l’histoire de ces millions d’européens partis pour l’Amérique afin de fuir la pauvreté et les crises politiques. L’artiste, encore principalement habitué au format du court-métrage, est dans une période charnière de sa carrière, basculant petit à petit du pur burlesque vers des intrigues plus développées et longues. L’Emigrant est juste entre les deux.
« Truffé de gags cocasses mais toujours dans le but de mettre en scène les dérives de la société, L’Emigrant s’apparente à un prélude aux futurs films majeurs de Chaplin. »
En effet, il est surtout intéressant de découvrir L’Emigrant après ses principaux classiques pour bien se rendre compte de sa place dans la filmographie de Chaplin. Truffé de gags cocasses mais toujours dans le but de mettre en scène les dérives de la société, L’Emigrant s’apparente à un prélude aux futurs films majeurs de Chaplin. Notamment sur la forme, il se présente comme une amorce, le début de quelque chose. S’arrêtant alors qu’il pouvait continuer, le film se focalise principalement sur le sort de ces millions d’immigrants, les épreuves qu’ils ont dû franchir et, surtout, l’accueil que leur réserve cette terre promise. Venus groupés, nourrissant un espoir commun, ils sont sélectionnés, éparpillés sur le territoire, destinés à errer comme des âmes solitaires dans ce pays qui leur est inconnu. On montre, alors, que ceux qui sont partis par leurs propres moyens pour attraper une main tendue découvrent, finalement, qu’ils sont destinés à ne pouvoir compter que sur eux-même, quoi qu’il arrive. Les démunis deviennent des parias, des laissés pour compte, espérant tomber sur quelques pièces en déambulant dans les rues.
Occupant le dernier tiers du film, la scène du restaurant symbolise la situation précaire dans laquelle les immigrants se retrouvent à leur arrivée en Amérique. Comme dit précédemment, ce n’est pas une Amérique accueillante qui est ici montrée, mais une Amérique sans considération, hostile. Le serveur est à son image : immense, bourru, implacable. Il est supposé servir les clients, mais il est désagréable, voire violent lorsque les clients manquent de monnaie. Il n’est pas là pour faire des compromis, il dicte la conduite des autres et les remet à l’ordre. C’est une Amérique de la liberté qui frappe, extorque et piétine. Et Chaplin avait l’habitude d’opposer les idéaux à la dure réalité. Car, plus que d’être un pauvre bougre nous faisant rire, Charlot était un véritable témoin de l’histoire que Chaplin a envoyé à diverses époques critiques pour la société américaine, voire pour le monde entier : la recherche de richesse dans un pays en construction dans La Ruée vers l’Or, la fuite de la pauvreté dans L’Emigrant, l’engagement forcé et l’absurdité de la guerre dans Charlot Soldat, la précarité généralisée après la crise de 1929 et l’industrialisation galopante dans Les Temps Modernes, et l’ascension et le danger des dictatures européennes dans Le Dictateur. Tous ces films s’inscrivent dans une logique générale visant à traiter ces sujets avec humour, certes, mais une gravité suffisante pour éveiller les consciences.
Officiant comme une charnière dans la filmographie de Charlie Chaplin, autant dans son évolution en tant qu’artiste, que dans le développement de son « univers », L’Emigrant est une comédie qui, bien sûr, fait rire grâce à ses gags toujours aussi excellents, mais qui laisse surtout un goût amer à l’arrivée. L’espoir est toujours permis évidemment, et la fin promet toujours un dénouement heureux, mais ce n’est jamais simple ni couru d’avance. Il y a toujours une sous-couche très dramatique dans les films de Chaplin, et L’Emigrant ne déroge pas à la règle. Et si le film date de 1917, en le regardant en 2018, on ne peut s’empêcher de faire un parallèle évident avec ce qui arrive actuellement en Europe. Comme la sensation de voir l’histoire se répéter, rendant les films de Chaplin définitivement intemporels, et leurs leçons à graver dans nos esprits.
Note et avis
4/5
S’apparentant à une sorte de prélude aux futurs grands films de Chaplin, L’Emigrant est une comédie drôle, au charme intemporel, mais qui demeure empreinte de drame et de gravité.
Chaplin j’adore, bon weekend à toi :)
Bonjour,
Le titre du court métrage de Chaplin « The Immigrant » est mal traduit.
Le titre original en anglais est « The Immigrant » : cette information est très facile à vérifier sur toutes les sources existantes, à commencer par les affiches d’époque.
C’est sa traduction qui est erronée : « immigrant », en anglais, signifie « immigrant » en français, et non pas « émigrant » qui se dit, en anglais, « emigrant ».
Il est très facile de vérifier cette information sur n’importe quel dictionnaire.
Il existe donc en anglais, comme en français, les deux termes et ils ne signifient pas la même chose : on peut même dire qu’ils signifient le contraire l’un de l’autre, ce qui dénature donc complètement la signification du titre..
Il est donc important de corriger cette faute de traduction qui trahit l’esprit de l’œuvre originale dont le titre est bien « The Immigrant ».
Charlie Chaplin a intitulé son court métrage « L’Immigrant », pas « L’Émigré » : nul ne contestera qu’il faille respecter son choix en tant que seul dépositaire légitime de son œuvre.
Merci de corriger cette faute dans le souci de la vérité historique, artistique et lexicale.
Cordialement,
CB
Bonjour Charlène,
Merci d’avoir soulevé ce point.
En effet, le film a été traduit avec un mot de sens contraire à celui de l’original pour le public français. Autant que « The Immigrant » est le titre original du film de Chaplin, « L’Emigrant » ou « Charlot émigrant » est devenu le titre officiel en France. Le pourquoi de cette démarche m’échappe. Mon hypothèse est que, du point de vue du public américain, Charlot est un immigrant, quand du point de vue du public français, il émigre vers les Etats-Unis, d’où, je pense, ce choix. Il ne s’agit, à mes yeux, pas tant d’une faute de traduction que d’une adaptation du titre de l’oeuvre au public auquel elle s’adresse, ce qui fut également le cas de nombre d’autres films de Chaplin, Keaton ou Lloyd par exemple.
Le mieux reste, je pense, de bien rajouter le titre original pour rester, dans tous les cas, le plus proche possible de la réalité.