Rétrospective – Nicolas Winding Refn
Faire une rétrospective sur un réalisateur ou un acteur, cela implique d’avoir vu tous ses films, et quand on y pense, c’est assez rare d’y parvenir. Il y a quelques mois, je m’étais lancé dans la filmographie de Nicolas Winding Refn, ce cinéaste quelque peu énigmatique notamment révélé en 2011 par le grand succès de son film Drive. C’est généralement le premier film cité lorsque l’on parle du réalisateur danois, et pourtant, il a une dizaine d’autres films à son actif. Vous ne les connaissez pas ? Jetons ensemble un œil à sa filmographie !
Pusher (1996)
Synopsis : Frank vend de l’héroïne et a une dette envers un trafiquant : Milo. La police le surprend en transaction. Le début pour Frank d’une course poursuite.
Les débuts de Nicolas Winding Refn sont loin des trips visuels et bigarrés de ses derniers films. Le tout jeune réalisateur fait ici ses débuts dans son pays natal, le Danemark, avec une équipe d’acteurs qui va le suivre pour plusieurs films (Kim Bodnia, Zlatko Buric, et un certain Mads Mikkelsen). Son style très brut et sans artifice rappelle le Dogme95 de ses compatriotes Lars Von Trier et Tomas Vintenberg, prônant un retour à l’essentiel, face aux superproductions américaines. Récits de la vie de loosers liés aux trafics de drogue, chaque « Pusher » s’intéresse à un personnage en particulier. Le premier montre la descente aux enfers d’un petit dealer minable, ayant le chic pour se mêler à de sombres affaires, s’enfonçant de plus en plus profondément dans un univers sombre mêlant violence, folie et trahison. L’authenticité de la réalisation de Nicolas Winding Refn, non sans déjà une volonté de l’esthétiser, apporte un aspect presque documentaire à ce premier film très immersif et violent.
Note personnelle : 7/10.
Bleeder (1999)
Synopsis : L’amour et la violence à Copenhague. Léo et Louise vivent en couple dans un appartement insalubre. Découvrant que Louise est enceinte, Léo perd peu à peu le sens de la réalité et, effrayé par la responsabilité de sa nouvelle vie, sombre dans une spirale de violence. Au même moment, son ami Lenny, cinéphile introverti travaillant dans un vidéo-club, tombe fou amoureux d’une jeune vendeuse et ne sait comment le lui dire…
Après son premier « Pusher« , « NWR » poursuit son épopée dans son pays natal avec un nouveau film, reprenant les acteurs principaux de son premier film. L’idée, globalement, est la même, avec des personnages plus ou moins marginaux, tous habités à leur manière par un sentiment de solitude. Encore très loin de ses derniers films, le réalisateur opte pour une réalisation très crue, proche de ses personnages, mettant en lumière leur personnalité et le désespoir général qui anime leurs vies. La rage s’intensifie au fil de l’intrigue, jusqu’à une explosion de violence redoutée et attendue. Bleeder reste un bon film, social, mais marque moins que Pusher, faute de surprise, mais marque une certaine forme de continuité avec ce dernier.
Note personnelle : 6,5/10.
Inside Job (2003)
Synopsis : La vie de Harry Cain bascule le jour où sa femme est assassinée dans le parking d’un centre commercial. Cain devient la proie de visions étranges qui le poussent à mener sa propre enquête.
La carrière de « NWR » se poursuit, avec le film qui vit son arrivée sur le territoire américain, accueilli par un véritable four au box-office. Et pourtant, Inside Job marque une vraie rupture dans la filmographie du réalisateur. Après Pusher et Bleeder, aux styles très crus, Inside Job s’apparente à un exercice de style qui préfigure ses prochaines réalisations. Thriller sombre, obscur, quasi-onirique, il emprunte plusieurs séquences au cinéma de Lynch, certaines scènes d’introspection n’étant pas sans rappeler son excellent Lost Highway. La couleur rouge, prédominante, constante de la filmographie de NWR, agresse le spectateur et l’installe dans un climat habité par une violence silencieuse mais omniprésente. Même si on ne sait pas réellement où nous mène le film, il captive et, malgré un retour aux sources avec les suivants Pusher II et Pusher III, Inside Job marque le début d’une nouvelle ère dans la carrière du réalisateur danois.
Note personnelle : 7,5/10.
Pusher II : Du sang sur les mains (2004)
Synopsis : Tonny, un petit criminel de Copenhague, sort de prison et retourne au garage qui sert de couverture à Smeden, son père dit « Le Duc », qui règne avec brutalité sur un gang.
Après l’échec retentissant d’Inside Job, Nicolas Winding Refn décide de faire un pas en arrière et d’effectuer un retour aux sources pour mieux rebondir. Pour cela, il décide de poursuivre sa saga Pusher, en proposant une suite avec les mêmes personnages, et en continuant son observation et sa mise en scène du monde du crime et de la drogue. Mads Mikkelsen tient cette fois le premier rôle, celui d’un prisonnier en libération conditionnelle. Après avoir exposé l’enfoncement d’un petit dealer dans les ennuis et les mésaventures liées aux drogues et aux gangs, Nicolas Winding Refn s’intéresse à la réinsertion d’un jeune délinquant dans la société et sa capacité (ou non) à reprendre une vie normale, loin des larcins auxquels il était habitué. Une nouvelle fois, Nicolas Winding Refn cherche à exposer une vérité crue et totalement opposé à toute forme d’idéalisme, faisant de la délinquance une fatalité qui fait partie intégrante de ces jeunes perdus et les hantera à vie.
Note personnelle : 7,5/10.
Pusher III : L’Ange de la mort (2005)
Synopsis : Milo, un trafiquant de drogue serbe, suit une thérapie de groupe pour soigner sa toxicomanie. Aujourd’hui, sa fille fête son 25e anniversaire, et il doit préparer un banquet pour une cinquantaine de convives. En plein préparatif, il doit aussi veiller à ses affaires en cours. Il attend une livraison d’héroïne. A la place, il se retrouve avec des pilules d’ecstasy. Bien que ne connaissant rien à ce marché, Milo décide de garder la livraison et de la revendre.
Nicolas Winding Refn décide ici de clore son cycle Pusher avec un troisième et dernier film. Celui-ci raconte l’histoire d’un magnat de la drogue, connu des deux héros des deux premier films. Celui-ci tente désespérément de suivre un programme de désintox, et se retrouve en même temps dépassé par la nouvelle génération de trafiquants, aux nouvelles pratiques et intéressés par de nouvelles marchandises. Complètement submergé par la volonté, à la fois, d’être un chef de famille respectable, de faire tourner son business, et de ne pas être semé par les nouveaux arrivants sur le marché, le héros se retrouve pris dans un bourbier incommensurable, lequel nous permet une nouvelle fois d’observer les conséquences de la délinquance sur notre entourage, poussant ici ses effets destructeurs à leur paroxysme. Les trois films donnent ainsi un ensemble complet sur un un univers sclérosé par les trahisons, les querelles liées à l’argent, où règne la menace permanente de recevoir un coup de couteau ou une balle. Des films vrais sur une réalité qu’on souhaiterait ne jamais connaître.
Note personnelle : 7/10.
Bronson (2008)
Synopsis : La vie de Charles Bronson est racontée sur une scène, sous forme de one-man-show, avec de nombreux flashback et un soupçon d’humour noir.
Nicolas Winding Refn a maintenant clôt son cycle Pusher et passe à autre chose. Enfin, presque. Le crime reste le cœur du sujet, mais cette fois, quelque chose a changé. Loin de l’aspect très brut des Pusher, de la caméra à l’épaule, le réalisateur danois montre ici quelque chose de beaucoup plus conceptuel, où l’esthétique et les procédés scénaristiques particuliers servent à nourrir un film barré et violent. Celui que l’on connaît pour ses œuvres énigmatiques et très esthétisées, propose ici sa première oeuvre majeure allant en ce sens. Suivant des prémices augurés avec Inside Job, Nicolas Winding Refn met ici en scène un brillant biopic savamment construit, captivant, beau, et superbement interprété par Tom Hardy.
Note personnelle : 9/10.
Valhalla Rising (2009)
Synopsis : One-Eye, un guerrier muet et sauvage, était fait prisonnier. Grâce à l’aide d’Are, il parvient à tuer son geôlier et ensemble ils s’échappent.
Après un virage opéré avec succès avec Bronson, Nicolas Winding Refn pousse le travail de l’esthétique et du visuel encore plus loin avec Valhalla Rising. De retour sur la terre de ses ancêtres, le cinéaste danois retrouve ici Mads Mikkelsen dans un rôle très particulier où l’acteur ne dira pas le moindre mot. Film plein d’énigmes, obscur et sombre, il renvoie à des époques reculées et lointaines dans un univers hostile et fascinant. Visuellement impressionnant, tourné dans de superbes décors, éloge au silence et à la contemplation, Valhalla Rising se mue en une sorte d’expérience sensorielle forte qui fait désormais la caractéristique du cinéma de Nicolas Winding Refn.
Note personnelle : 8/10.
Drive (2011)
Synopsis : Ce cascadeur a une double vie : il devient pilote de voitures pour le compte de la mafia la nuit. Après un casse qui tourne mal, il veut se venger.
Voilà, sans aucun doute, le film qui a fait la renommée de Nicolas Winding Refn. Drive aurait pu se perdre dans le flot incessant d’un cinéma « mainstream », au détriment de ce qui fait la particularité du cinéma de Refn. Et pourtant, il n’en est rien. Sobre et épuré, beau visuellement, Drive se déroule comme un poème sombre qui se lit avec attention, et qui ne part jamais dans l’exagération et l’ostentatoire. Refn ne prend pas des pincettes pour illustrer la violence, mais il l’introduit avec une gradation qui évolue avec l’intensité à laquelle se déroule le film, à l’image des précédents Pusher et Bleeder, notamment. Jamais d’explosions, jamais de montage frénétique, toutes les scènes sont habitées par le même calme qui caractérise le cinéma de Refn. Ryan Gosling incarne un personnage badass à la fois intimidant et touchant, intègre et dangereux, incarnant une dualité explosive face aux mafias modernes, rappelant le personnage de Ryan O’Neal dans Driver (1978). Une belle claque pour un film qui s’annonce déjà culte.
Note personnelle : 9/10.
Only God Forgives (2013)
Synopsis : À Bangkok, Julian, qui a fui la justice américaine, dirige un club de boxe thaï servant de couverture à son trafic de drogue.
Baigné dans une esthétique multicolore envoûtante (héritée de son précédent Drive et préfigurant The Neon Demon), accompagné d’une bande originale electro mystique, Only God Forgives regroupe tout ce qui fait le style de Refn, poussé à l’excès. Après son succès avec Drive, il part très loin dans ce film, extrêmement violent, influencé par des références mythologiques, religieuses, mu par la trahison, l’inceste et la vengeance. Beaucoup d’éléments regroupés sur une courte durée, et pourtant avec un scénario en soi très léger. Avec un montage très déstabilisant, flouant les frontières entre réel et irréel, NWR marche une nouvelle fois sur les platebandes de Lynch, avec de nouveau une grosse référence à Lost Highway. Plus onirique encore que ses prédécesseurs, Only God Forgives est un film ambitieux par son style, qui frise paradoxalement la prétention et dangereusement avec la vacuité scénaristique. Un film difficile à cerner, mais une expérience visuelle hors du commun, où la culture de l’esthétique est poussée à son paroxysme.
Note personnelle : 7/10.
The Neon Demon (2016)
Synopsis : Une jeune fille débarque à Los Angeles. Son rêve est de devenir mannequin. Son ascension fulgurante, sa beauté et sa pureté suscitent jalousies et convoitises. Certaines filles s’inclinent devant elle, d’autres sont prêtes à tout pour lui voler sa beauté.
Le dernier-né du réalisateur danois a tout du film qui nécessite d’avoir vu au moins une autre de ses réalisations auparavant, pour parvenir à l’appréhender, voire à le supporter. Extrêmement particulier, il cultive la beauté sous ses aspects les plus fascinants, sombres, voire malsains. Esthétiquement très beau, ses qualités principales résident dans des partis pris visuels qui donnent lieu à des scènes captivantes et envoûtantes, volontairement ralenties et accompagnées d’une BO electro ajoutant encore plus de mystère à l’ensemble. Mais ce parti pris a probablement empiété sur le message même du film qui, bien que très métaphorique et allégorique (dans la droite lignée de Valhalla Rising), sert un propos relativement manichéen et, en définitive, assez cliché, sans véritable nuances. Sans forcément complètement rater le coche, il semble quelque peu incomplet, mais offre une expérience visuelle et sensorielle très particulière.
Note personnelle : 6,5/10.
Conclusion : En vingt ans de carrière, Nicolas Winding Refn a montré beaucoup de qualités, et fait évoluer sa manière d’aborder le cinéma. Parti d’un cinéma très brut, presque amateur mais pourtant maîtrisé, il a progressivement évolué vers un cinéma plus conceptuel, porté par la symbolique, la musique et l’esthétique, marchant sur les traces d’un certain David Lynch, dont l’influence semble difficile à ignorer sur les derniers films de Refn. Prétentieux pour certains, génie pour d’autres, il est certain que le réalisateur divise, et cela est dû à des partis pris très tranchés et personnels dans ses films. Cela pose alors la question qui consiste à se demander si un bon réalisateur est un réalisateur qui sait explorer les styles et les genres sans véritable patte, ou si c’est un réalisateur dont on reconnaît facilement le style et qui charme par cette singularité ? A vrai dire, c’est un peu des deux. Ce qui fait aujourd’hui l’intérêt du cinéma de Refn, c’est sa capacité à ne pas être générique, à répondre à des codes particuliers et à transgresser les codes du cinéma grand public pour proposer un cinéma plus confidentiel et original qui fait du bien à voir aujourd’hui. En quelque sorte l’héritier de David Lynch, Refn est capable de proposer de belles expériences cinématographiques et à mettre en avant l’importance du visuel dans le cinéma. Il ne nous reste maintenant plus qu’à attendre la sortie de son prochain projet qui, aux dernières nouvelles, sera intitulé The Avenging Silence et parlera d’une affaire d’espionnage et de mafia.
Moi qui déteste les biopics, Bronson est le film que je préfère de Refn. Il a su insuffler une folie artistique au personnage qui donne un point de vu passionnant sur le personnage.
C’est également mon avis, il a vraiment su adapter l’exercice au personnage avec un point de vue beaucoup plus interne que les biopics traditionnels, ce qui fait vraiment du bien à voir !
Merci pour cet article détaillé ! J’ai vu les deux collaborations avec Ryan Gosling que j’ai vraiment beaucoup aimé ! Il semble chercher vraiment à aller à contre sens, ne pas cultiver un récit d’histoires trop facile si je puis dire ainsi …
je prends note de ces autres films et je prendrais le temps d’explorer un peu plus son travail.
En effet, Refn a un style assez tordu qui emprunte pas mal au cinéma de Lynch. Surtout dans sa « seconde phase », c’est-à-dire en dehors des Pusher et de Bleeder, qui sont vraiment, pour le coup, beaucoup plus terre-à-terre. Mais ça fait plaisir de voir un réal avec son style et une esthétique particulière.
Merci pour ton commentaire ! :)
Il faut vraiment que je développe mes connaissances en cinéma pour mieux faire les liens entre les réalisateurs, les films …
Lynch a fait Mulholland Drive c’est ça ? Film tortueux et déstabilisant à souhait !
Ahah, ça vient avec le temps c’est normal. ^^ Lynch est en effet très connu pour Mulholland Drive, un de ses films référence, même si je lui préfère Lost Highway (j’ai un article sur ce film dans les fourneaux). Il a également réalisé Blue Velvet, Elephant Man, et Eraserhead (très difficile d’accès par son côté très brut et conceptuel).
Refn a une filiation qui se ressent avec ce réalisateur, que j’ai ressenti surtout dans Only God Forgives et The Neon Demon, même si les thématiques de Refn et Lynch semblent assez différentes, ce dernier étant un cinéaste très attaché aux rêves et à leur représentation sur pellicule (d’où leur côté complexe).
C’est bien pour ça que j’adore les blogs cinéma ! Je suis assez curieuse, et j’aime apprendre :) alors lire tout ça et être un peu « guidé » par tous ces passionnés, c’est un régal !
La curiosité est essentielle ! J’apprends beaucoup en sillonnant les blogs cinés aussi, et en lisant diverses critiques, c’est toujours un plaisir de pouvoir échanger avec d’autres passionnés :) Il y a tant à découvrir avec le cinéma, j’ai peur qu’une seule vie ne soit pas suffisante. ^^
Oh oui je crois qu’on peut même dire ça pour presque tout ce qui touche à l’art … j’aime beaucoup la littérature et quand je vois tout ces livres … comme tu dis j’ai bien peur qu’une seule vie ne suffise pas !
C’est sur que les échanges et les discussions sont passionnantes, on voit souvent les choses sous différents angles pour un même sujet. Et pour le cinéma qui est souvent le fruit d’interprétations, ça ouvre plein de perspectives !