Le Ranch Diavolo (John Ford, 1917) – Critique & Analyse
Peut-on imaginer un cinéaste plus légendaire que John Ford lorsque l’on parle de l’histoire du cinéma américain ? Pendant plus de cinquante ans, il traversa les époques et fit notamment du western le vecteur de son art, qui visait à sonder les origines de la société, ses dérives, à établir un tableau du monde moderne. Mais si l’on connaît surtout ses grands classiques tels que La Prisonnière du Désert, La Chevauchée Fantastique ou encore L’Homme qui tua Liberty Valance, il ne fallut pas attendre longtemps pour que le talent et les sujets de prédilection du cinéaste ne se révèlent, à l’image de ce qu’il montre déjà dans Le Ranch Diavolo.
Fiche du film
- Genre : Western
- Réalisateur(s) : John Ford
- Distribution : Harry Carey, Duke R. Lee, George Berrell, Molly Malone
- Année de sortie : 1917
- Synopsis : Engagé par des desperados pour éliminer un fermier gênant, un cow-boy change de camp. (SensCritique)
Critique et Analyse
On connaît généralement de John Ford ses collaborations avec John Wayne et ses westerns mythiques des années 40 à 60. Mais la filmographie de John Ford prend sa source aux premières heures du cinéma, au début du siècle, dans les années 1910, alors qu’Hollywood et les studios américains se développent à toute vitesse, poussant le cinéma américain en tête de l’industrie cinématographique mondiale. Le jeune John Ford, qui se fait encore appeler Jack, suit notamment les traces de son frère Francis, aux côtés duquel il fait ses premières armes dans le milieu du septième art, ainsi qu’aux côtés d’autres cinéastes reconnus de l’époque, tels que D.W. Griffith. C’est en 1917, grâce à un concours de circonstances favorables à l’aspirant réalisateur, que Jack Ford put tourner ses premiers films en son nom. Et si ses tous premiers films sont hélas définitivement perdus, certaines de ses œuvres les plus anciennes ont survécu à l’épreuve du temps, comme Le Ranch Diavolo, son sixième film et plus ancien encore conservé.
« Dans une certaine modestie qui découle de l’expérience encore limitée du cinéaste, Le Ranch Diavolo vient malgré tout adresser des messages forts et à la portée universelle, avec, déjà, un sens de la composition des plans et de l’image qui préfigurent les plus belles œuvres du cinéaste. »
Le Ranch Diavolo est un five-reel, c’est-à-dire un film tenant sur cinq bobines, lui conférant une durée relativement importante pour l’époque : une heure environ. C’est la première fois qu’il tourne un film aussi long (la plupart de ses contrats se basant sur des films d’une longueur de deux bobines), mais le jeune cinéaste n’hésite pas à ruser pour être à la hauteur de ses ambitions. Le Ranch Diavolo mettra, dès le carton d’introduction, le spectateur familier du cinéma de Ford dans un environnement qui lui parle. Ford raconte ici l’arrivée des colons sur les terres américaines, principalement occupées par des cow-boys indépendants, vivant du bétail, sans véritables lois ni organisation, privilégiant la proximité avec la nature et le fait de composer avec les lois de cette dernière. On y trouve également une figure charismatique en tête d’affiche, en la personne d’Harry Carey, acteur fétiche de Ford lors des premières années de sa carrière, inspirant plus tard celui qui deviendra l’autre muse de John Ford : John Wayne. Dans une certaine modestie qui découle de l’expérience encore limitée du cinéaste, Le Ranch Diavolo vient malgré tout adresser des messages forts et à la portée universelle, avec, déjà, un sens de la composition des plans et de l’image qui préfigurent les plus belles œuvres du cinéaste.
La surprise viendra lorsque le spectateur découvrira Harry Carey sous les traits d’un vaurien recherché par les forces de l’ordre, avec récompense à la clé, alors que l’on pouvait s’attendre à le voir agir dans la peau du héros valeureux qui viendra sauver les colons des griffes des hors-la-loi. Mais ce serait oublier un autre des ingrédients récurrents des films de John Ford : la rédemption. Le film se découpe ainsi en deux parties distinctes avec, dans un premier temps, cette immersion dans l’univers sans foi ni loi des hors-la-loi, puis, dans un second temps, la prise de conscience et le soutien aux colons opprimés. L’ambivalence de ce personnage permet de rompre avec la linéarité apparente du film, dont l’issue paraît toute tracée. Quelque part, Cheyenne Harry est le reflet du monde qui l’entoure. Il est d’abord à l’image de ces hors-la-loi qu’il fréquente et qui vivent dans ce monde à l’influence néfaste, puis la confrontation à la souffrance font naître (ou renaître) en lui la compassion.
John Ford n’est encore qu’au début de son long chemin, mais les promesses affichées dans Le Ranch Diavolo sont déjà éloquentes. Grands espaces, inspiration auprès de la peinture pour construire des plans remarquables, mise en emphase de l’image sur le visage de Cheyenne Harry pour forger la légende du personnage, exploration de la frontière entre monde d’avant et monde moderne… On trouvera même, vers le milieu du film, un plan qui fera largement écho à l’un des plans les plus mémorables de La Prisonnière du désert. Il est certain que le cinéma encore jeune de Ford doit encore évoluer pour arriver à maturité, mais Le Ranch Diavolo est déjà bien marqué de la signature d’un grand cinéaste en devenir.
Film mythique que j’aimerais beaucoup découvrir. Le seul de cette période que j’ai vu est « bucking Broadway » autre western que l’on a cru longtemps perdu.
On est dans la même veine ! Les films sont sortis à quelques semaines d’écart. J’ai pu les revoir car Rimini a sorti une réédition « John Ford : Premiers Westerns » avec Le Ranch Diavolo, A l’assaut du boulevard et Du sang dans la prairie. Un bon trio pour (re)découvrir les premières heures de Ford et voir comment ces premiers films auguraient déjà la suite !
Excellent, je vais m’intéresser de près à cette édition. Merci !