A la rencontre de… Buster Keaton (1895-1966)
C’était il y a 13 ans. Avec ma classe de CM1, nous nous rendions au cinéma pour voir un film, un vieux film, très vieux même. Intitulé « Le Mécano de la General« , réalisé en 1926 (comment ça, ça existait déjà le cinéma à l’époque ?), il s’agissait de faire découvrir à des enfants un classique du cinéma muet burlesque désormais reconnu comme étant l’un de ses plus brillants représentants. L’expérience fut belle, à travers un film pétillant, plein de gags et de cascades en tout genre. C’est ce jour-là que j’ai découvert un petit bonhomme qui s’avérait être l’un des géants du septième art : Buster Keaton.
Tu es né en 1895 dans le Kansas, sous ton vrai nom, Joseph Frank Keaton Junior. Surnommé « Buster » par ton père, tu rejoins rapidement tes parents dans leur spectacle dès tes plus jeunes années. Peu à peu, tu fais ton chemin sur les planches de divers théâtres, et te tournes progressivement vers le cinéma en faisant la rencontre de l’une des plus grandes vedettes du cinéma comique des années 1910 : Roscoe « Fatty » Arbuckle. Après un bref service militaire en France lors de la Première Guerre Mondiale, c’est lui qui, en 1917, t’offre ton premier rôle au cinéma. Tu es d’abord quelque peu circonspect, mais tu saisis rapidement l’intérêt de cet art encore tout jeune pour apprendre à te l’approprier.
Jusqu’en 1920 tu collabores avec lui dans pas moins de 14 court-métrages, devenant son associé le plus fidèle et l’un de ses amis les plus dévoués, notamment lors du scandale qui mit brutalement un terme à sa carrière. Tu te mis alors à voler de tes propres ailes, créant tes propres films, rivalisant tous d’inventivité, comme La maison démontable, de 1920, véritable cartoon vivant qui réunit déjà tout ce qui allait bientôt caractériser tes films.
Tu tournes dans de nombreux court-métrages, entre les Frigo et les Malec, tu ne cesses d’amuser un public friand des burlesques, véritable mouvement cinématographique que tu mènes au côté d’autres génies tels que Charlie Chaplin et Harold Lloyd. Ta dévotion envers ton art est totale. Tu écris, tu réalises, tu joues, en n’hésitant pas à réaliser toi-même des cascades insensées qui te font risquer ta vie à chaque instant. Les années 1920 vont voir ta consécration, grâce à des films devenus cultes, comme, pour ne citer qu’eux : Les lois de l’hospitalité (1923), Sherlock Junior (1924), Cadet d’eau douce (1928), Le Caméraman (1928) et, bien sûr, celui qui est considéré comme étant ton principal chef d’œuvre, Le Mécano de la General (1926).
Tu te renouvelles sans cesse en inventant de nouveaux gags incroyablement ingénieux, demandant souvent de longues heures de travail, comme la fameuse scène du billard de Sherlock Junior, entièrement réalisée sans trucages. Si beaucoup considèrent que tu as vécu dans l’ombre de Chaplin, il n’en est rien. Si tes personnages et Charlot arborent la même candeur, ils la manifestent de manières bien différentes. C’est le flegme que tu arbores face à chaque gag, cette éternelle aptitude à te relever de tes chutes et à poursuivre tes actions comme si de rien n’était, ne laissant transparaître aucune émotion, qui te verra être crédité du surnom de « L’homme qui ne rit jamais« .
Même si tu ne laisses rien transparaître, tout te sourit. Mais voilà, il y a toujours un mais. Ton traitement de la Guerre de Sécession dans Le Mécano de la General n’a pas été du goût de tous, étant parfois jugée comme étant trop maladroite. Ainsi, les producteurs décidèrent que tu n’avais plus carte blanche, et n’hésitèrent bientôt plus à interférer avec tes libertés artistique et scénaristique, qui étaient jusqu’alors nécessaires à ta réussite. Tu finis par te rallier aux studios de la MGM, une certaine année 1928, laquelle coïncide également avec l’émergence du tout nouveau cinéma parlant.
Un tournant dont tu ne te remettras sans doute jamais. Acculé par la pression des studios, doublé par des cascadeurs, détaché de la gestion des films dans lesquels tu joues, tu ne te fais pas non plus au parlant, devant répéter plusieurs fois les scènes dans plusieurs langues, tout en devant littéralement transformer ton jeu, jugeant que ta voix contraste beaucoup trop avec celui-ci. Si le succès financier est présent, ton manque de motivation se fait vite sentir, et tu es chassé des studios de la MGM en 1933. Ta vie sentimentale houleuse te porte également préjudice. Ton mariage avec Natalie Talmadge s’avère vite désastreux, et même s’il en résulte deux enfants, la relation se dégrade vite, jusqu’à un divorce fatidique en 1932, qui la vit te ravir toute ta fortune. Nul doute que cela explique ta chute dans les ténèbres et dans l’alcoolisme, qui fut amortie en 1940 par un nouveau mariage, plus heureux, avec Eleanor Norris, qui te remit d’aplomb et te fit te reprendre en main.
La fin de ta carrière restera relativement prolifique, te voyant apparaître dans de nombreux films, tant au cinéma qu’à la télévision. Mais on ne peut cacher le fait que ta présence était surtout motivée par la reconnaissance qu’inspire ton nom. On venait voir un film car Buster Keaton y apparaissait, mais plus car Buster Keaton l’avait créé de A à Z. Toujours imperturbable, tu continues à inspirer le respect auprès de tes pairs, te permettant également d’apparaître aux côtés de Charlie Chaplin dans Les feux de la rampe (1952), échangeant avec lui un court dialogue, ressemblant à un ultime hommage à une époque désormais révolue.
Toujours actif, sans cesse en mouvement, la dure réalité te rattrape une ultime fois le 1er février 1966, quand ce que tu pensais être une vilaine bronchite s’avérait être un mal bien plus grand et silencieux, et qui t’emportera après une dernière nuit passée à jouer aux cartes avec des amis. Indissociable de ton canotier, toujours impassible, mais surtout doté d’un esprit génial, tu as su faire rire des générations de cinéphiles grâce à ton immense talent. Les rires que tu choisis volontairement de ne pas exprimer toi-même, tu les provoques chez tes admirateurs. Maître du burlesque, génie du cinéma, légende du septième art, tu es certainement l’un de mes modèles, et à mes yeux l’un des plus grands acteurs de tous les temps. Oserais-je dire « chapeau, Buster » ?
Un bel hommage. Je partage la même passion pour ce génie du cinéma muet. Pour moi, tous les frémissements de Keaton sont d’une sensibilité, d’une humanité rarement transmis sur grand écran.
Merci ! En effet, Buster montrait peu de choses avec son visage, mais ce « peu » transmet énormément au spectateur.