Ascenseur pour l’échafaud (Louis Malle, 1958) – Critique & Analyse
De la noirceur de l’écran émane le visage de Jeanne Moreau, et un zoom arrière s’enclenche, dévoilant progressivement ses traits, son désespoir et sa détermination. Puis c’est l’interlocuteur, Maurice Ronnet, qui apparaît à l’écran, donnant la réplique à Jeanne Moreau dans cet échange passionné. « Si je n’entendais pas ta voix, je serais perdu dans un pays de silence » , et les premières notes de la musique de Miles Davis se font entendre. Il n’a fallu que quelques secondes pour qu’Ascenseur pour l’échafaud nous subjugue.
Fiche du film
- Genre : Drame, Policier, Thriller
- Réalisateur(s) : Louis Malle
- Distribution : Jeanne Moreau, Maurice Ronet, Georges Poujouly, Lino Ventura
- Année de sortie : 1958
- Synopsis : Un homme assassine son patron avec l’aide de la femme qu’il aime. Voulant supprimer un indice compromettant, il se retrouve bloqué dans l’ascenseur qui l’emporte sur les lieux du crime. (SensCritique)
Critique et Analyse
On pourrait se croire chez Wilder, devant un Assurance sur la mort (1944), par exemple. Cet amour interdit, ce coup monté pour trouver la liberté après avoir outrepassé les lois… Cette lumière, cette mélancolie, cette rage de vivre… Tous les ingrédients du film noir sont présents dans ce drame que l’on peut qualifier de film noir en toute légitimité. Louis Malle parvient à installer son ambiance en un rien de temps, à créer une atmosphère et, alors qu’il embarque dans le train en marche, à intégrer le spectateur dans l’intrigue. Un homme, une femme, un amour passionné, et un autre homme à éliminer. La motivation des deux amants est obscure, mais ce qui est certain, c’est que cet acte pourra être synonyme, pour eux, de liberté. Alors que le spectateur entre dans l’arène, il ne peut guère réfléchir avant que le drame ne se produise.
« Tout devait réussir, nous y étions presque, mais il y avait ce détail, et tel le papillon qui, d’un battement d’ailes, déclenche un ouragan aux antipodes du monde, il fera d’un drame la fondation de tragédies. »
Une corde, un crochet, un dossier, et un revolver. Avec minutie et une extrême froideur, Julien met son plan à exécution. A l’image de cette entreprise, le film se distingue par cette précision qui le caractérise, par cette attention accordée aux détails, ne laissant rien au hasard. Il ne laisse rien au hasard, en effet, pas même le hasard lui-même. Car comme Alfred Hitchcock nous le montrait quelques années auparavant dans Le Crime était presque parfait (1954), même le crime le plus soigneusement échafaudé, le mieux réfléchi, le moins susceptible d’échouer, est soumis au hasard et aux circonstances. Et ni Florence ni Julien n’y peuvent quoi que ce soit. Tout devait réussir, nous y étions presque, mais il y avait ce détail, et tel le papillon qui, d’un battement d’ailes, déclenche un ouragan aux antipodes du monde, il fera d’un drame la fondation de tragédies.
Dans ce noir et blanc envoûtant, où les lumières viennent illuminer les visages dans de sublimes tableaux mélancoliques, se croisent et se jouent les destins de ceux qui rêvent d’interdit. Un couple fomente un crime, ce qui permet à un autre de s’évader en voiture, et de laisser leur propre destin aux mains du sort, qui dépasse rapidement leurs propres capacités à décider de ce qu’il adviendra d’eux. Les deux histoires semblent se répondre l’une à l’autre, tout en s’associant et en se combinant. La voix de Jeanne Moreau accompagne les longues errances, alors que l’incertitude qui obscurcit le dénouement qui approche nous confronte à une tension grandissante. La ville, immense, souvent vide, voit déambuler cette silhouette solitaire, alors qu’elle dévore celui qu’elle aime dans un ascenseur bloqué au milieu de grands bureaux. Au-delà des acteurs et des personnages, c’est dans le décor et dans l’ambiance qu’Ascenseur pour l’échafaud est l’oeuvre d’un travail intelligent, autant dans la gestion des décors que du son et des sons, toujours manipulés avec soin pour ne jamais trahir l’esprit du plan et du film.
Ce n’est pas très courageux l’amour. Peut-être n’est-il pas courageux, mais il est certain qu’il a ses caprices et ses aléas, que les protagonistes d’Ascenseur pour l’échafaud, face à la certitude de leurs sentiments et de leur force, n’étaient jamais véritablement prêts à affronter. Tout fonctionne dans ce superbe film noir à la photographie sublime, attrapant immédiatement le spectateur pour ne jamais le relâcher avant le dénouement final. Tout est beau, éloquent, intelligent, logique, humain. On se laisse happer par la magie qui émane de ce très beau moment de cinéma, et on se laisse envoûter une dernière fois par les superbes mélodies de Miles Davis, qui continuent de nous hanter encore longtemps.
Le film est disponible gratuitement (sur création de compte) jusqu’au dimanche 24 mai 2020 sur le site de la Cinémathèque de Nice
En résumé
Note et avis
Ascenseur pour l’échafaud est un film vraiment remarquable. Un grand film noir avec ces errances, ce suspense, cette tension, cette mélancolie… Un grand film où tout est d’une grande précision, le tout sublimé par la magnifique musique de Miles Davis.