A la rencontre de… Dark City (1998)
Quand on lance un film, on a généralement une attente de départ. Parfois, c’est un film décrit comme immanquable, salué par la critique, et forcément, on espère assister à quelque chose de grand. Des fois c’est le cas, des fois, ça ne l’est malheureusement pas. J’avais intégré Dark City dans ma liste de films à voir, sans que celui-ci ne figure tout en haut de celle-ci pour autant. J’ai quand même choisi de le regarder, et j’ai pu me dire que des fois, au-delà de combler nos attentes, certains films les surpassent largement.
- Genre : Science-Fiction/Fantastique
- Réalisateur : Alex Proyas
- Année de sortie : 1998
- Casting : Rufus Sewell, Jennifer Connelly, Kiefer Sutherland, William Hurt
- Synopsis : John Murdoch ne se souvient de rien. Traqué par l’inspecteur Bumstead, il cherche à comprendre et part a la recherche de son identité. (senscritique.com)
D’ailleurs, je parle de ce film, mais il est probable que vous n’en ayez jamais entendu parler. Véritable four au box-office, Dark City est tout juste rentré dans son budget, victime d’une concurrence déloyale face à l’ogre Titanic. Mais c’est parfois (et souvent) en éclairant les zones ombragées que l’on met au jour de belles pépites, surtout dans le cinéma. Dark City est l’une d’entre elles, à n’en pas douter.
Introduction à la dystopie
J’aimerais pouvoir résumer le film, mais il est difficile de le faire sans dévoiler des éléments de compréhension essentiels au film, et je vous gâcherais la surprise. D’ailleurs, il me faudra le faire dans la suite de cet article. C’est donc pour cela que j’anticipe en vous recommandant fermement de le regarder, et surtout en Director’s cut, car cette version permet réellement d’entretenir le suspense et de profiter pleinement de ce chef d’oeuvre. Non, je ne pèse pas mes mots, et oui j’ai adoré ce film.
Film dystopique (l’inverse d’utopique), Dark City appartient à un genre cinématographique qui me plaît par la liberté artistique qu’il offre aux réalisateurs, et par sa capacité à mettre en lumière des problématiques actuelles dans un contexte où, exacerbées, elles nous sautent aux yeux. L’objectif est de mettre en scène une réalité détournée, se déroulant généralement dans le futur, dans un monde meurtri par des tensions sociales fortes.
Dark City, l’héritier de Metropolis ?
Comme tout le monde, Alex Proyas est allé puiser de l’inspiration à droite et à gauche pour réaliser son film. Dark City reprend d’ailleurs les canons les plus courants de la dystopie, et partage beaucoup de similitudes avec nombre de films du genre. Toutefois, il y en a bien un dont on ne peut s’empêcher de trouver des points communs avec le film de Proyas. En effet, pendant mon premier visionnage, j’ai été quelque peu frappé de retrouver l’esprit de Metropolis, le chef d’oeuvre de Fritz Lang, sorti en 1927. Je parle bien de « l’esprit » du film, car les similitudes s’observent davantage en observant les composantes du film. Les scénarios, quant à eux, divergent, mais les deux films se rejoignent une dernière fois sur la morale finale.
Les deux films se déroulent dans d’imposantes cités aux innombrables gratte-ciels qui étouffent le spectateur sous cette atmosphère bétonnée. Pour nous plonger dans cette ambiance sombre et malsaine, Proyas emprunte largement aux films expressionnistes allemands des années 1920, tels que Le Cabinet du Docteur Caligari (1920), Le Docteur Mabuse (1922) et, justement, Metropolis. Ses jeux de lumière utilisés de manière prononcée, avec des teintes aux dominantes jaunes/vertes rappellent sans cesse au spectateur l’obscurité permanente dans laquelle est plongée la ville.
Autre point commun entre les deux films : la présence d’un monde souterrain qui dirige la ville. Si le monde souterrain de Metropolis, habité par des ouvriers asservis, et celui de Dark City, occupé par des individus étranges aux pouvoirs surnaturels, diffèrent sur la forme, ils convergent dans leur rôle. En effet, ces mondes souterrains, que personne ne voit mais où tout se décide, représentent la manifestation d’une forme de pouvoir occulte, omniprésente et omnisciente, mais surtout oppressante. Dans Metropolis, il s’agit d’une vaste machinerie, dans Dark City, d’une assemblée politique. Les comparaisons entre les deux films s’arrêtent au degré de la similitude, il est hors de question de parler de remake.
Cependant, avoir vu Metropolis permet de donner du relief à Dark City et de mieux saisir son propos philosophique, mais aussi métaphysique, car il est difficile, au fur et à mesure que l’on avance dans le film, de ne pas y voir le récit fondateur d’une civilisation, et même de relever des références à divers mythes religieux.
Quand la métaphysique rencontre la science-fiction
Terme assez barbare que l’on a quasiment tous rencontré en cours de français ou de philosophie, on le relève parfois, en ayant toujours l’impression de connaître son sens sans vraiment savoir quand et comment l’utiliser. Schopenhauer définit la métaphysique comme la connaissance des phénomènes qui nous dépassent et nous conditionnent : « Par métaphysique, j’entends tout ce qui a la prétention d’être une connaissance dépassant l’expérience, c’est-à-dire les phénomènes donnés, et qui tend à expliquer par quoi la nature est conditionnée dans un sens ou dans l’autre, ou, pour parler vulgairement, à montrer ce qu’il y a derrière la nature et qui la rend possible. » (schopenhauer.fr) Autrement dit, la métaphysique intervient à un degré supérieur à ce qui est purement physique, d’où une relation souvent étroite entre métaphysique et religion, créée par un « besoin métaphysique » inhérent à l’homme (Schopenhauer, toujours).
Si je me permets cet aparté sur ce concept philosophique pas toujours très marrant, c’est parce que la métaphysique est omniprésente dans Dark City. Le fait que John Murdoch, le personnage principal, n’a aucun souvenir de qui il est ni d’où il est, le mène à se questionner sur lui-même à la manière d’un Descartes (philosophie quand tu nous tiens), et sur le monde qui l’entoure, pour en découvrir la vraie nature. En mettant en doute toutes les composantes du monde dans lequel il vit, il parvient peu à peu à cerner la réalité et à comprendre le sens de son existence. Murdoch découvre un monde dont les habitants ne sont pas constructeurs ni maîtres, mais esclaves. La réalité qui l’entoure n’est que fiction, produit d’expériences menées par des individus obscurs dont on ne connaît pas l’origine.
Les découvertes de Murdoch le mènent à complètement remettre en cause le système dans lequel il est enfermé. Grâce à l’aide d’un scientifique au service des « autres », il apprend que ceux-ci sont des extra-terrestres qui ont établi une base dans l’espace où ils mettent en place des expériences visant à découvrir la nature humaine et à la copier, car leur propre espèce est menée à s’éteindre. Ces extra-terrestres, d’abord présentés comme des individus très intelligents, infaillibles et dotés d’une technologie très poussée, sont peu à peu montrés comme des êtres primitifs, des coquilles vides qui ont atteint les limites de leurs capacités.
A l’inverse, les hommes, alors présentés comme des individus enfermés, asservis, et simples sujets d’expériences, parviennent à renverser l’ordre établi grâce à John Murdoch, appuyé par l’inspecteur Bumstead et le Docteur Schreiber. Devenu rat de laboratoire, l’homme n’est plus celui que l’on haït pour avoir asservi le monde, mais celui pour lequel on a de l’empathie. La technologie, jusqu’ici moyen de répression, est supplantée par la force de l’âme, propre à l’homme. C’est l’objet d’une des dernières répliques du film, où Murdoch dit à l’un des derniers extra-terrestres qu’ils ont cherché partout dans le cerveau des hommes alors qu’il fallait chercher dans leur cœur, où réside leur vraie nature. Cette réflexion, qui fait écho à la morale de Metropolis : « Entre le cerveau et les mains, le médiateur doit être le cœur » est la clé-de-voûte de la métaphore mythologico-religieuse qui réside dans le film.
De la métaphysique aux analogies avec la mythologie et la religion
Le film présente le renversement d’un ordre établi à travers l’intervention d’un individu qui se lève seul parmi les autres. Cette configuration rappelle diverses légendes issues de croyances anciennes. L’histoire de John Murdoch, qui a résisté aux expériences et développé des pouvoirs psychiques hors-normes, fait écho à celle de Cronos qui, dans la mythologie grecque, seul parmi les Titans, chassa Ouranos du pouvoir et modifia le visage du monde. Ici, le schéma est le même, avec Murdoch qui, prenant conscience de ses pouvoirs, les met à profit et détruit l’ordre établi par les extra-terrestres afin de transformer le monde.
Pour revenir à des mythes et croyances plus récents, la volonté effrénée de Murdoch de rejoindre Shell Beach, lieu imaginaire intégré dans sa mémoire, est la manifestation de la volonté des hommes de rejoindre le paradis. A la fin, Murdoch refaçonne le monde, il fait se lever le soleil, fait s’écouler l’eau (symbole de la vie) pour créer une mer autour de la ville, et fait apparaître Shell Beach, à l’image de la plage qui existait dans son imaginaire. Il se retrouve ainsi, seul avec Anna, dans un nouveau monde, idéalisé, comme un Jardin d’Eden. Ce parallèle avec la mythologie chrétienne se fait à travers la lecture de certains éléments rappelant des épisodes de la Bible, mais aussi à travers une analogie entre les récits de Dark City et La Divine Comédie de Dante Alighieri. L’histoire débute dans les Enfers, pour nous faire traverser le Purgatoire, et enfin nous mener au Paradis. Les similitudes avec ces différents récits trouvent du sens avec le recul et donnent encore plus de profondeur au récit délivré par Alex Proyas.
Un film de l’ombre qui mérite toute notre attention
Comme vous pouvez donc le constater, Dark City n’est pas juste un film de science-fiction qui cherche à faire du spectacle et à offrir une heure cinquante de divertissement pour ensuite nous laisser passer à autre chose. Certes, il est impressionnant, prenant, voire presque épique par moments, mais il fait surtout réfléchir. Après mon premier visionnage, je n’avais qu’une envie : le revoir. Ses nombreuses métaphores permettent une liberté d’interprétation large qui a pour bénéfice de laisser chaque spectateur en tirer une expérience unique. Au fil de l’histoire, le spectateur suit la quête de vérité du héros, et la manière dont s’enchaînent les événements nous laissent suffisamment de temps pour extrapoler et tenter d’imaginer la suite. Comme dans un récit biblique, la quête de John Murdoch s’apparente à un périple initiatique dont l’inspiration se trouve autant dans l’origine du cinéma, que l’origine de l’humanité elle-même.
Mené tambour battant, grâce à ses sous-textes et ses discours philosophiques et métaphysiques, Dark City est un film complet, qui ne s’oublie pas et est une vraie source de réflexion. Je recommande d’ailleurs vivement de le visionner au moins deux fois, car un second visionnage permet de relever certains éléments de détails qui prennent encore plus de sens lorsque l’on connaît les clés de l’intrigue. Dans tous les cas, ce film a pour moi été comme une véritable révélation et une excellente surprise. J’aime ce genre de film qui permet de développer une véritable réflexion et de trouver sens auprès de multiples sources culturelles. Film de science-fiction remarquable, dystopie exemplaire aux allures de film noir des années 40, il a tous les ingrédients composant la recette du film idéal à mes yeux, et le cocktail prend totalement. Je vous conseille vivement de le visionner dès que vous le pouvez.
Note : 10/10.
Bande-annonce de Dark City
Un film sous-estimé par beaucoup. A pris l’ombre de Matrix. Quel dommage.
Absolument ! Trop méconnu, plus que d’être sous-estimé je pense. Matrix s’est fait une place importante dans la culture populaire, ce qui n’est pas le cas de Dark City, antérieur certes, mais dont la gloire a été ravie par Matrix. C’est tout à fait dommage en tout cas, oui.