Années 1890 - 1920CritiquesPatrimoine / Autres

A la rencontre de… Le Cabinet du Docteur Caligari (1920)

Affiche du Cabinet du Docteur Caligari (1920)
Affiche du Cabinet du Docteur Caligari (1920)

Le Cabinet du Docteur Caligari est un cas d’école pour tout curieux qui cherche à parfaire sa culture du septième art. Issu au rang de classique parmi les films d’horreur à une époque où le genre commençait à peine à se développer, sa réputation est surtout due à son statut de tête de file d’un mouvement qui a marqué le cinéma allemand des années 1920 : l’expressionnisme.

Le Cabinet du Docteur Caligari (1920)
Le Cabinet du Docteur Caligari (1920)

Dès les premiers instants du film, le spectateur est plongé dans une ambiance sombre et dérangeante. La première scène montre deux personnages, assis sur un banc, dans un parc, ou à l’orée d’une forêt sinistre, le soir. L’un deux déblatère des tirades obscures, quand l’autre annonce qu’il a vécu un drame terrible, et qu’il souhaite le raconter. Nous sommes donc invités à suivre l’histoire de Francis, qui va nous dévoiler son intrigante histoire, liée au passage du fameux Docteur Caligari dans sa ville.

Pour bien cerner ce film marquant et avant-gardiste à bien des égards, il faut le situer dans son contexte. Nous entrons dans une nouvelle décennie, peu de temps après la fin de la Première Guerre Mondiale, qui a eu un impact majeur sur le monde du cinéma, en redistribuant les cartes au sein des différents pays producteurs de films, chamboulant toute la « géopolitique cinématographique ». Le pays de l’Oncle Sam est devenu roi, grâce à son bastion situé à Hollywood, la terre des grosses productions, qui commencent déjà à s’enchaîner, comme les colossaux La naissance d’une nation (1915) et Intolerance (1916) de David Wark Griffith, grand réalisateur emblématique des années 1910 et du début des années 1920. Outre-Rhin, l’économie se porte mal, et le cinéma en pâtit. Faute de finances suffisantes pour produire des spectacles grandiloquents, certains réalisateurs allemands décident de prendre le parti de l’esthétique pour se distinguer et vont s’inspirer des mouvements artistiques qui émergent déjà dans la peinture et la littérature. Ainsi apparaît le cinéma expressionniste, et en tête de file, Le Cabinet du Docteur Caligari.

Friedrich Feher dans le Cabinet du Docteur Caligari (1920)
Friedrich Feher dans le Cabinet du Docteur Caligari (1920)

L’expressionnisme se base entre autres sur l’abstraction et l’usage de figures géométriques. Le Cabinet du Docteur Caligari en est la parfaite représentation, avec des décors quasiment surréalistes, déformant les lignes et créant une ambiance très particulière. Généralement composé de tableaux et de planchers peints imitant notamment les jeux de lumière, le décor a une allure très factice, mais il s’agit, une nouvelle fois, d’un parti pris lié à un manque de budget suffisant et, somme toute, le résultat est captivant.

Pour aller plus loin dans l’analyse, il va me falloir SPOILER le film, car sans ça il me manquera de nombreuses pistes de réflexion le concernant. Je vous invite donc à lire le paragraphe de conclusion et, surtout à regarder le film car, oui, vous allez le faire !

Bienvenue, donc, dans la ZONE SPOILERS !

Le Cabinet du Docteur Caligari (1920)
Le Cabinet du Docteur Caligari (1920)

Le récit de Francis nous mène donc progressivement vers un twist final, qui nous apprend que notre héros est tout simplement fou, et que le fameux Docteur Caligari, venu semer la terreur dans sa ville, est le directeur de l’établissement dans lequel il est interné. Ce retournement de situation donne tout son sens au film et justifie tous les choix scénaristiques et esthétiques qui ont été effectués dans Le Cabinet du Docteur Caligari. Utiliser le recours de la folie était un moyen plus que judicieux pour justifier l’apparence grotesque des décors apparaissant dans les scènes de flashback. La folie altérant l’esprit de Francis, il lui est impossible de restituer une histoire sensée, et il en résulte un récit déformé, tant sur le fond que sur la forme.

Robert Wiene, le réalisateur, s’est également permis de développer son intrigue à l’aide de techniques résolument modernes, en employant entre autres le flashback et le discours à la première personne. Le recours au flashback n’était pas nouveau, il est déjà apparu auparavant, dans des films comme La naissance d’une nation par exemple, mais son emploi est ici différent, puisque l’on démarre au présent à travers un bref prologue, pour ensuite poursuivre sur un long flashback dans lequel se développe l’intrigue. Une structure narrative que l’on retrouve à de nombreuses reprises par la suite, et de nos jours notamment.

Werner Krauß dans Le Cabinet du Docteur Caligari (1920)
Werner Krauß dans Le Cabinet du Docteur Caligari (1920)

Le récit s’effectue également à la première personne, un point peu commun encore à cette époque où les films adoptaient généralement un point de vue omniscient. L’idée de Wiene est clairement de nous plonger dans l’esprit tourmenté et dément de Francis, et d’être nous-même pris par cette folie qui l’habite afin d’être détournés de la réalité dévoilée par le twist en fin de film.

FIN DE LA ZONE SPOILERS

Le Cabinet du Docteur Caligari est donc le fruit d’un pari de la part des réalisateurs allemands, qui souhaitent se distinguer du cinéma américain, déjà beaucoup plus convenu et clinquant. Film expressionniste par excellence, il s’apprécie surtout par son esthétique des plus originales, et par sa structure narrative moderne pour son époque. Adoptant un rythme relativement lent, Le Cabinet du Docteur Caligari endort (au sens figuré) et hypnotise le spectateur en le plongeant dans son ambiance sombre, voire glauque, soignée à merveille et dont l’effet est démultiplié par les décors on ne peut plus abstraits dans lesquels se déroule l’intrigue. Une référence incontestable dans le monde du cinéma, à ne manquer sous aucun prétexte pour toute âme curieuse digne de ce nom.

Note : 8,5/10.

Le film en entier sur Youtube :

https://www.youtube.com/watch?v=AP3WDQXkJq4

Quentin Coray

Quentin, 29 ans, mordu de cinéma depuis le visionnage de Metropolis, qui fut à l'origine d'un véritable déclic. Toujours en quête de nouvelles découvertes pour élargir mes connaissances et ma vision du cinéma. "L'art existe et s'affirme là où il y a une soif insatiable pour le spirituel, l'idéal. Une soif qui rassemble tous les êtres humains." - Andreï Tarkovski

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.