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Pacifiction : Tourment sur les îles (Albert Serra, 2022) – Critique & Analyse

Qu’est-ce qui fait un bon film ? Est-ce une bonne histoire, bien racontée ? De bons acteurs ? Un sens aigu du visuel ? Une bonne musique ? Ou peut-être tout cela ? Ou s’agirait-il plutôt d’une contribution variable de ces différents éléments pour créer un tout qui fasse sens et qui serve une vraie vision artistique ? Une question qui peut sembler complètement bateau et banale, qui reste cependant sensée lorsque l’on s’aventure dans un film tel que Pacifiction, qui offre quelque chose de particulièrement radical et singulier.


Fiche du film

Affiche de Pacifiction (2022)
Affiche de Pacifiction (2022)
  • Genre : Drame
  • Réalisateur(s) : Albert Serra
  • Distribution : Benoît Magimel, Pahoa Mahagafanau, Matahi Pambrun, Marc Susini, Sergi Lopez
  • Année de sortie : 2022
  • Synopsis : Sur l’île de Tahiti, en Polynésie française, le Haut-Commissaire de la République De Roller, représentant de l’État Français, est un homme de calcul aux manières parfaites. Dans les réceptions officielles comme les établissements interlopes, il prend constamment le pouls d’une population locale d’où la colère peut émerger à tout moment. D’autant plus qu’une rumeur se fait insistante : on aurait aperçu un sous-marin dont la présence fantomatique annoncerait une reprise des essais nucléaires français. (SensCritique)

Critique et Analyse

Pacifiction (2022)
Pacifiction (2022)

En perdition au bout du monde

Le film s’ouvre sur l’image d’un port en Polynésie Française, avec de grands reliefs en arrière-plan, et, devant, d’énormes containers entassés, le tout dans une atmosphère de lever ou de coucher de soleil, l’image baignant dans un rose intense. Pendant ces quelques instants, tout est déjà là : l’idée d’un voyage au bout du monde, sauvage, entaché par la présence humaine et la surproduction, un voyage dont l’étrange beauté vient presque s’apparenter à un rêve. Pendant près de trois heures, Albert Serra va cultiver cette atmosphère, en choisissant comme personnage principal un haut-commissaire de l’Etat, qui vient se renseigner sur ce qui se passe sur l’île et dresser un état des lieux. L’occasion, ainsi, d’explorer un véritable microcosme que nous découvrons aux côtés de De Roller, ici présenté sous les traits de Benoît Magimel.

« Passé colonial, capitalisme, décalage entre l’Etat et la population, Pacifiction examine les rouages de tout un système et de la société, entre longs dialogues et errances oniriques. »

Discussions avec des élus, des activistes, un amiral, représentations de spectacles, De Roller essaie de prendre part aux bouleversements sociaux en cours, aux activités et actualités locales, en cherchant à faire preuve de diplomatie et de tempérance, le tout avec la peur d’une reprise des essais nucléaires en fond. Passé colonial, capitalisme, décalage entre l’Etat et la population, Pacifiction examine les rouages de tout un système et de la société, entre longs dialogues et errances oniriques. C’est, en tout cas, de cette manière que nous pourrions définir une bonne partie du propos de Pacifiction, dans le cas où l’on souhaite s’y attacher fermement, la forme du film se montrant bien plus intéressante à analyser et à apprécier.

Pacifiction (2022)
Pacifiction (2022)

Embarquer le spectateur dans choc visuel baignant dans une ambiance étrange et malsaine

En effet, Albert Serra fait le choix de diluer ce propos dans un film à la longueur notable, étonnamment contrebalancée par le ton et la structure ici employés. Tout d’abord, Pacifiction compte énormément de dialogues, souvent longs, et au moins en partie improvisés. Un choix qui permet d’accorder une vraie authenticité à ces discussions qui nous parlent, souvent banales mais dignes d’intérêt. Des dialogues très bien restitués par les différents comédiens, Benoît Magimel en tête, excellant dans ce rôle de dignitaire diplomate et incapable de faire quoi que ce soit. Une improvisation qui va jusqu’à certaines scènes, comme celle de l’énorme vague, où l’on croirait entendre parler l’équipe de tournage hors cadre. Mais ce côté improvisé ne s’associe en rien à une forme d’amateurisme, un soin très important étant accordé à l’image, avec beaucoup de plans magnifiques, et la création de cette singulière atmosphère éthérée et crépusculaire, baignant dans des teintes rosées. Que ce soit dans les extérieurs luxuriants ou dans la boîte de nuit où se rassemblent toutes ces âmes égarées, Albert Serra parvient parfaitement à créer ce sentiment de solitude, de mal-être et de perversion des esprits. Ainsi, ce decorum vient magnifier les partitions de comédiens trouvant un espace d’expression privilégié, qu’il s’agisse de Benoît Magimel, mais aussi de Marc Susini et de Pahoa Mahagafanau, qui se révèle dans ce film.

Albert Serra s’était déjà fait remarquer pour ses parti pris radicaux en termes de cinéma, et Pacifiction ne fait pas exception à la règle. Il est certain qu’il en résulte une appréciation très variable du film, qui peut être boudé par une partie du public qui n’aura pas été sensible à ces choix. Ici, le pari a été gagnant, la durée du film devenant tout à fait relative tant notre rapport au temps est affecté par ce film qui nous embarque dans cette errance où l’on finit par se perdre. Jusqu’ici salué par un public que l’on pourrait qualifier de niche, Pacifiction est l’un des films les plus nommés aux César, et la perspective de voir un tel film récompensé est intéressante quant à l’idée de voir une forme singulière de cinéma être mise en avant. Le temps continuera de faire son œuvre à propos de Pacifiction, mais il est certain qu’on ne sort pas indemne de cet étrange voyage.

Note et avis
En résumé
Pacifiction ne laisse pas insensible. Une errance onirique à l'autre bout du monde, dans un paradis où règne la décadence et la solitude. Une atmosphère éthérée, avec plein de magnifiques plans et un Benoît Magimel magistral. On oublie la notion du temps et on se laisse emporter.
4
Note

Quentin Coray

Quentin, 29 ans, mordu de cinéma depuis le visionnage de Metropolis, qui fut à l'origine d'un véritable déclic. Toujours en quête de nouvelles découvertes pour élargir mes connaissances et ma vision du cinéma. "L'art existe et s'affirme là où il y a une soif insatiable pour le spirituel, l'idéal. Une soif qui rassemble tous les êtres humains." - Andreï Tarkovski

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