Aftersun (Charlotte Wells, 2023) – Critique & Analyse
L’évocation des souvenirs, tout ce qu’il peut y avoir de plus difficile au cinéma tant les mécanismes de la conscience qu’ils activent peuvent nous échapper. Nous pourrions penser au tortueux Miroir de Tarkovski, référence absolue en la matière, ou découvrir un premier long-métrage plus que prometteur avec Aftersun.
Fiche du film
- Genre : Drame
- Réalisateur(s) : Charlotte Wells
- Distribution : Paul Mescal, Frankie Corio, Celia Rowlson-Hall, Sally Messham
- Année de sortie : 2023
- Synopsis : Avec mélancolie, Sophie se remémore les vacances d’été passées avec son père vingt ans auparavant : les moments de joie partagée, leur complicité, parfois leurs désaccords. Elle repense aussi à ce qui planait au-dessus de ces instants si précieux : la sourde et invisible menace d’un bonheur finissant. Elle tente alors de chercher parmi ces souvenirs des réponses à la question qui l’obsède depuis tant d’années : qui était réellement cet homme qu’elle a le sentiment de ne pas connaître ? (SensCritique)
Critique et Analyse
Une carte postale flétrie
Un souvenir de vacances sous le soleil turc, aux portes de l’adolescence, à l’époque des caméscopes et des cassettes. Un père relativement jeune mais débrouillard et qui ne veut que passer un bon moment avec sa fille. Des instants de vie simples, banals, alors que les jours s’égrènent avant la rentrée et le retour à la réalité. Aftersun ne cherche pas à nous raconter une histoire à proprement parler, simplement à nous convier à ces vacances entre père et fille, dans des petites péripéties entrecoupées de passages filmés au caméscope, pour ajouter une touche de réalisme à ces moments, à les ancrer dans notre réalité. Une vision pleine de nostalgie, celle d’un temps passé, pour les deux protagonistes, mais aussi pour nous, dont beaucoup ont connu cette époque, qu’on se remémore souvent avec nostalgie.
« Il règne, dans Aftersun, un perpétuel sentiment de perte, celui d’un lien, d’un temps révolu, la sensation que ces moments, aussi doux soient-ils, cachent quelque chose de dur et de profondément triste. »
Il ne s’agira cependant pas, dans Aftersun, de provoquer chez le spectateur une fausse nostalgie comme cela peut être parfois le cas avec une certaine représentation des années 80 que l’on observe depuis quelques temps. Car le film de Charlotte Wells cherche surtout à faire un certain éloge de cette banalité et d’en extraire une beauté et un sens singuliers. Il règne, dans Aftersun, un perpétuel sentiment de perte, celui d’un lien, d’un temps révolu, la sensation que ces moments, aussi doux soient-ils, cachent quelque chose de dur et de profondément triste.
Raconter les souvenirs avec fidélité et solliciter nos émotions profondes
Pour Sophie, la jeune fille, c’est une période de découvertes, mais aussi l’expression d’un souhait de se rapprocher d’un père qu’elle ne parvient pas à cerner pleinement. Des questions innocentes font émerger des traumatismes et des doutes profonds, chez un père au passé trouble. A travers cette relation père-fille (portée par deux très beaux interprètes) s’illustrent notamment la question de la transmission, l’un souhaitant faire bénéficier de son expérience à l’autre, mais aussi celle de la difficulté à communiquer, la peur de ne pas pouvoir toujours être là, que tout cela s’achève, s’avérant parfois plus forte. C’est ainsi que Charlotte Wells construit un film sans artifices, assemblant ses séquences comme on assemblerait des petits films en un grand film, cadrant ses plans et pensant sa mise en scène de telle façon qu’il existe toujours une part d’ombre dans l’image, symbole de souvenirs qui s’effritent avec le temps, mais aussi de tourments cachés.
Aftersun ne provoque jamais l’émotion volontairement, préférant la suggestion à l’expression, nous laissant nous imprégner nous-même de ces souvenirs. Il nous laisse également le temps de prendre du recul sur ces derniers, de nous y projeter pour nous faire réaliser que ce que nous percevions alors prend un sens tout autre avec notre regard d’adulte. Tout en retenue, le film de Charlotte Wells nous laisse voguer à travers ces moments jusqu’à un plan final mémorable, plein de sens et profondément déchirant, nous laissant quitter la salle avec un gros pincement au cœur, mais avec la sensation d’avoir vécu quelque chose de très beau, et intime.