Mise à mort du cerf sacré (Yórgos Lánthimos, 2017) ★★★★ : Les blessures du passé
Yórgos Lánthimos a été un cinéaste qui m’a longtemps été connu plus de réputation qu’autre chose. Mon entrée dans son univers et dans son cinéma a pu s’effectuer grâce à The Lobster, sorte de comédie noire déstabilisante mais pertinente, qui m’avait séduit et parlé dans les thématiques qu’il abordait. Pourtant, The Favorite n’a pas du tout eu le même effet, pour un résultat qui m’a beaucoup ennuyé et m’a paru manquer de substance. Alors, sur les conseils d’un ami, en dépit du fait d’être resté sur une mauvaise expérience avec Lánthimos, je me suis lancé dans Mise à mort du cerf sacré.
Fiche du film
- Genre : Drame, Thriller
- Réalisateur : Yórgos Lánthimos
- Année de sortie : 2017
- Distribution : Colin Farrell, Nicole Kidman, Barry Keoghan
- Synopsis : Steven, un brillant chirurgien, prend sous son aile un adolescent. Ce dernier s’immisce progressivement au sein de sa famille et devient de plus en plus menaçant, jusqu’à conduire Steven à un impensable sacrifice. (SensCritique)
Critique et Analyse
De l’art de raconter la vie à travers le cinéma. Si le parti pris peut être celui d’un naturalisme prononcé, évacuant les artifices pour se raccorder le plus possible à ce que nous vivons tous les jours, ce n’est pas celui de Yórgos Lánthimos. Le cinéaste grec nous a habitué, depuis ses premiers films, à jouer la carte de la satire, à confronter la société à ses vices et à ses largesses avec une certaine pointe de sarcasme et, surtout, en usant d’un humour très noir. Le tout, généralement, est enveloppé dans une esthétique léchée et soignée, relativement froide, mais surtout très travaillée. Pourtant, ce travail sur les lumières et les mouvements de caméra, procédés purement cinématographiques et décorrélés de la réalité du quotidien, ne l’empêchent pas de l’exprimer avec une justesse incisive. Au contraire même.
« Mise à mort du cerf sacré est une fable d’une noirceur assez glaçante, mordante, qui mise sur un humour très noir qui tend à nous faire grincer des dents plus qu’à nous faire rire. »
Mise à mort du cerf sacré emboîte le pas à The Lobster, qui signifiait son éloignement de ses terres natales grecques, théâtre de ses premiers films, en passant notamment par Canine et Alps. La présence de Colin Farrell en tant qu’acteur principal vient d’ailleurs installer une certaine continuité avec le film précédent, mais l’éventuelle légèreté qui pouvait habiter The Lobster, liée à son côté un brin décalé, notamment lors de sa première partie, est ici totalement effacée pour laisser place à quelque chose de beaucoup plus sombre. Mise à mort du cerf sacré est une fable d’une noirceur assez glaçante, mordante, qui mise sur un humour très noir qui tend à nous faire grincer des dents plus qu’à nous faire rire.
Le film de Lánthimos expose son personnage principal à son incapacité à garder le contrôle sur des choses qui peuvent le dépasser, mettant à mal ses certitudes de chirurgien réputé, spécialiste et représentant d’une science qui ne cesse d’apporter des réponses à toutes les questions et des solutions à tous les problèmes. Car les maux qui l’accablent ne sont pas purement scientifiques, mais surtout psychologiques et humains. Il est avant tout un homme, faillible, avec un passé lourd, qu’il tente comme il peut d’effacer pour garder la face, mais qu’il ne peut repousser sans cesse. Un passé qui se présente ici sous les traits de Martin, qui invoque les remords et la honte pour mettre Steven face à ses propres démons, pour l’obliger à les combattre, non sans sacrifices. Pour Steven, le chemin sera plein d’embûches, Lánthimos le présentant comme un personnage qui vit dans le déni, préférant sans cesse repousser ses hantises et penser que cela les effacera, mais dont les conséquences sont la souffrance de son entourage et son incapacité croissante à communiquer avec eux.
Lánthimos cerne ici des éléments très intéressants, parlants, et les traite avec pertinence. En présentant son film sous la forme d’une fable, employant la symbolique pour matérialiser des idées et des concepts, le cinéaste universalise son propos pour être en mesure de parler à tous types de spectateurs. Il faut avouer que le style du cinéaste, notamment en termes d’esthétique (avec, ici, une quatrième collaboration avec le chef opérateur Thimios Bakatakis) peut rebuter à cause de sa propension à friser le pompeux, à paraître forcé. Et c’est probablement ce qui a tendance à diviser le public au sujet des films de Lánthimos. Mais Mise à mort du cerf sacré s’avère très pertinent, cohérent et très intéressant, en ayant été capable de me parler, grâce à un usage intelligent du medium cinématographique pour étayer son propos. Autrement dit, le cinéaste grec nous assène une jolie petite claque, et nous laisse seuls avec notre propre conscience.
Note et avis
4/5
Mise à mort du cerf sacré questionne une nouvelle fois la société dans une atmosphère glaçante, avec un ton très cynique et mordant.