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Le Grand Chantage (Alexander Mackendrick, 1957) – Critique & Analyse

Alors que la fin des années 1950 semblait marquer la fin progressive de l’âge d’or du film noir, certaines œuvres étaient encore en passe de marquer son histoire. Et il ne pouvait en être autrement avec un film nommé Le Grand Chantage.


Fiche du film

Affiche du Grand Chantage (1957)
Affiche du Grand Chantage (1957)
  • Genre : Film Noir
  • Réalisateur(s) : Alexander Mackendrick
  • Distribution : Burt Lancaster, Tony Curtis, Susan Harrison
  • Année de sortie : 1957
  • Synopsis : New York. Minable agent publicitaire de Broadway, Sidney Falco sert d’informateur au tout puissant éditorialiste d’un journal, J.J Hunsecker, qu’il hait et envie à la fois. Celui-ci le charge d’une basse besogne : briser par un scandale l’idylle nouée entre sa propre sœur Susan et un jeune guitariste, Steve Dallas. (SensCritique)

Critique et Analyse

Le Grand Chantage (1957)

Dans la nuit newyorkaise, des camions chargés de journaux s’empressent de livrer l’édition du soir dans les rues bondées d’une ville grouillante. Délivrer, l’information, vite, pour qu’elle tombe entre les mains de Sidney Falco, un home parmi tant d’autres, membre de cette foule frénétique qui va se distinguer à nos yeux, pour des raisons peu heureuses. Falco est une petite main, mais il a une grande gueule. Il travaille pour un grand, mais c’est lui qui, en coulisses, fait tout le sale boulot pour qu’il récolte les lauriers. Pendant longtemps, le nom du personnage incarné par Burt Lancaster, J.J. Hunsecker, est prononcé sans que celui-ci n’apparaisse à l’écran, comme une figure mystérieuse qui l’envahit déjà sans même être visible. La première partie du film nous fait attraper le train en cours de route, sans véritablement poser le contexte, s’intéressant notamment au personnage de Falco, tout en parlant aussi, par extension, de Hunsecker. L’intérêt est double : poser le rythme, et la relation qui unit les deux hommes, élément central du film.

« Le Grand Chantage décrit un monde où personne n’est digne de confiance, où la volonté de dominer et de posséder fait du mensonge une normalité, un monde où rien n’est vrai, donc. »

La première scène où Falco et Hunsecker sème le trouble, tant les hommes semblent autant associés qu’ennemis, le second écrasant le premier devant d’autres personnes qu’il cherchait simplement à discréditer. Cette scène, qui n’était finalement qu’une mascarade, est pleine d’ambiguïté, et pose des questions sur le véritable fond du propos des deux hommes. Elle est à l’image du reste du film, où les dires de chacun semblent cacher quelque chose d’autre, où chaque mot ne doit pas être pris au pied de la lettre et paraît servir une finalité dissimulée. Le Grand Chantage décrit un monde où personne n’est digne de confiance, où la volonté de dominer et de posséder fait du mensonge une normalité, un monde où rien n’est vrai, donc. Tel un roi qui contemple son royaume, Hunsecker regarde la ville du haut de son luxueux appartement, car la ville est son royaume.

Le Grand Chantage (1957)
Le Grand Chantage (1957)

Mais le règne est peu flatteur pour le grand journaliste. Lui qui cherche à être considéré par sa sœur, ne trouve d’autre moyen que de chasser son fiancé, par jalousie, car il veut posséder sans partage. Elle, tristement, ne connaît son propre frère que grâce à ses chroniques. Il y a énormément de cynisme dans Le Grand Chantage, très noir dans sa façon de décrire la nature humaine. Tout brille dans ce monde mais, surtout, nous nous retrouvons à bout de souffle tant c’est la vitesse qui l’anime. Très mouvante, la caméra insuffle beaucoup de dynamisme dans le film, associé à une belle fluidité dans le montage, pour que soient ressentis les sentiments de vitesse et d’urgence, sans que cela ne soit épuisant. Il s’agit de décrire un monde où l’on court après tout, sans jamais être en mesure de contrôler la situation. C’est notamment le cas de Falco, qui court après tout et tout le monde, multipliant promesses teintées de mensonges, rappelant beaucoup le personnage principal des Forbans de la nuit (1950), avec ce même sentiment d’urgence et cette impossibilité de s’en sortir face à tant de magouilles. Toujours présent dans le plan, souvent en arrière-plan, avec un recours à la profondeur de champ pour manifester son omniprésence, il est comme un démon infatigable qui écoute à toutes les portes.

Le Grand Chantage sort du cadre du film noir « classique » . Pas de détectives, de crimes, seulement la noirceur de l’âme humaine qui s’exprime à travers ces personnages et ces dialogues d’une intelligence rare. C’est un film qui fait la part belle à l’ambiguïté, la dosant à merveille pour que les véritables intentions de chacun restent floues et que le doute subsiste chez le spectateur. Tony Curtis excelle et déborde d’énergie, aux côtés d’un Burt Lancaster qui en impose grâce à son charisme naturel. Un film cruel, subtil, diablement intelligent et définitivement noir, une grande réussite.

Note et avis

En résumé

Le Grand Chantage ne laisse pas le moindre répit au spectateur. Avec ses dialogues tirés au cordeau, il établit le portrait de manipulateurs invétérés, voulant tout posséder et dominer. Tout le monde se joue de tout le monde. Soutenu, cruel, intelligent, un très bon cru.

Note globale
8/10
8/10

Quentin Coray

Quentin, 29 ans, mordu de cinéma depuis le visionnage de Metropolis, qui fut à l'origine d'un véritable déclic. Toujours en quête de nouvelles découvertes pour élargir mes connaissances et ma vision du cinéma. "L'art existe et s'affirme là où il y a une soif insatiable pour le spirituel, l'idéal. Une soif qui rassemble tous les êtres humains." - Andreï Tarkovski

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