Klute (Alan J. Pakula, 1971) – Critique & Analyse
Les années 70, une nouvelle époque, la peur, la paranoïa, les bouleversements sociaux, Alan J. Pakula et sa « trilogie de la conspiration ». Trois films qui firent date, trois films éminemment politiques qui vinrent illustrer les peurs d’une société qui se voit sans cesse observée, dont les représentants et les élites montrent un monde à la dérive, qu’ils veulent contrôler mais qui leur échappe. Point de départ de cette trilogie et film exemplaire du sous-genre du thriller politique américain typique de l’époque : Klute.
Fiche du film
- Genre : Policier, Thriller
- Réalisateur(s) : Alan J. Pakula
- Distribution : Jane Fonda, Donald Sutherland, Charles Cioffi, Roy Scheider
- Année de sortie : 1971
- Synopsis : John Klute est détective privé. Un jour, l’épouse et l’associé de son ami Tom Gruneman, disparu depuis six mois, lui demandent de le retrouver. Il se rend de Pennsylvanie à New York pour mener l’enquête. La seule piste est une call-girl, Bree Daniels, à qui Tom aurait adressé des lettres obscènes. (SensCritique)
Critique et Analyse
Un repas entre amis, une cassette qui tourne, puis une chaise occupée qui devient soudainement vide. En quelques petits instants, le cadre de Klute est déjà dessiné : les jours heureux sont terminés, et une force mystérieuse opère en silence dans le dos de tous. Une porte s’ouvre sur un autre monde, plus souterrain, celui qu’on ne veut pas voir ni explorer. Pour lever le mystère, Klute va devoir s’y engouffrer, et nous emporter avec lui dans cette quête vers quelque chose qui risque de le dépasser. A l’instar du détective, nous ne savons que bien peu de choses, et devons entreprendre cette enquête avec nos modestes moyens jusqu’à ce que la situation puisse progressivement se clarifier.
« Mélancolique et sombre, Klute est une histoire d’individus en perpétuel questionnements, dans un monde de plus en plus désabusé, n’acceptant pas la réalité. »
Ce contact avec ce monde invisible va être incarné par Bree, envoûtante Jane Fonda qui n’a sûrement pas volé son Oscar avec cette performance torturée mais également en retenue. Femme persuasive dans son rôle de call-girl, elle se montre également fragile et en perpétuelle fuite de quelque chose. Passant des castings pendant son temps libre, elle semble chercher à trouver un moyen de s’accomplir, tout en fuyant la réalité de son monde. Une fuite qu’opèrent beaucoup des personnages présentés dans Klute, que ce soit à travers la drogue, des fantasmes ou la quête de la vérité. Mélancolique et sombre, Klute est une histoire d’individus en perpétuel questionnements, dans un monde de plus en plus désabusé, n’acceptant pas la réalité.
Les personnages permettent de s’en rendre compte, mais cela dépend également d’un important travail sur l’atmosphère du film. Toujours oppressant et inquiétant, Klute baigne dans une ambiance sombre teintée de paranoïa. Un regard qui observe du haut d’un toit en verre, une bande magnétique qui tourne, ou l’intrusion inévitable matérialisée par un téléphone qui sonne sans personne au bout du fil, symbole d’une emprise qui franchit les murs et les portes verrouillées… Il n’y a pas d’échappatoire, et la musique de Michael Small tend presque à faire lorgner Klute vers le genre de l’épouvante, explorant les limites du thriller policier.
Illustration d’un monde d’hommes cherchant à asseoir leur empirise sur les femmes, où l’on essaie d’échapper à une réalité souvent plus que déplaisante, Klute montre des individus sans repères dans une société désabusée, voire désespérée. Au fil de l’intrigue, l’enquête laisse place à une romance impossible, le mécanique laisse place à l’humain, l’émotion surgissant dans cette obscurité ambiante. Alan J. Pakula nous offre ici l’un de ses premiers grands films, teinté de désespoir tout en contemplant avec lucidité un monde dépourvu d’artifices.