Jeux dangereux, 1942 – Critique & Analyse
« Une année, un film » : Jeux dangereux, réalisé par Ernst Lubitsch et sorti le 6 mars 1942.
Troisième rencontre avec Ernst Lubitsch dans ce voyage à travers le temps, après La princesse aux huîtres de 1919, et Haute Pègre de 1933, deux comédies de grande qualité qui ont contribué à la renommée de Lubitsch, considéré comme l’un des maîtres du genre au cinéma. Nul doute que Jeux dangereux, l’un de ses derniers films, a contribué à développer cette réputation.
A l’orée de la Seconde Guerre Mondiale, une troupe d’acteurs de théâtre polonais répète tant bien que mal une pièce mettant en scène Adolf Hitler et le régime nazi, alors que la Pologne est elle-même envahie par les allemands. Un jour, un jeune pilote polonais rencontre l’actrice principale, pour laquelle il s’éprend, mais celle-ci refuse ses avances, étant déjà mariée à l’un des autres acteurs. Alors que la guerre débute, le jeune pilote, réfugié à Londres, perce une vaste opération d’espionnage allemande visant à démanteler la résistance polonaise. Il est alors envoyé à Varsovie par les alliés afin de contrecarrer les plans des allemands, et pour ce faire, il va demander à la troupe d’acteurs de l’aider.
Ernst Lubitsch, cinéaste d’origine allemande, parti vivre aux Etats-Unis en 1923, déchu de sa nationalité d’origine par le régime nazi en 1935, prend ici sa revanche. Le IIIe Reich est la cible déclarée de cette satire qui, bien que se permettant de caricaturer allègrement les institutions du régime nazi (notamment la Gestapo), maintient toujours un équilibre remarquable entre gags et suspense car, il faut le rappeler, le film se déroule dans un contexte difficile. Cela, Lubitsch l’a bien compris, et il ne nous le fait pas oublier.
D’une habileté et d’une précision rares, cette comédie vient insuffler un vent de légèreté dans un contexte où la joie et le rire sont proscrits. Lubitsch propose une nouvelle fois une comédie pétillante (terme également utilisé pour qualifier Haute Pègre), grâce à ses situations cocasses, et ses personnages hauts en couleurs. Les deux camps voient leurs plans se contrecarrer mutuellement, menant à des situations toujours plus complexes, dont on n’imagine pas un instant la possibilité d’une résolution, et pourtant à chaque fois tout se goupille à merveille, et ce avec une justesse impressionnante. Tout n’est que caricature et mise en scène théâtrale et pourtant Lubitsch esquive avec finesse le piège de la lourdeur grâce à cette mise en abyme du monde du théâtre qui fait de Jeux dangereux une vaste mascarade des plus délicieuses à admirer.
Grâce à des acteurs hauts en couleurs et au talent de Lubitsch, Jeux dangereux se présente comme l’une des meilleurs comédies de la première moitié du XXe siècle. Voire du siècle tout entier, soyons fous, car j’ai rarement eu l’occasion de voir un film parvenant à maintenir aussi bien l’équilibre difficile entre la caricature et le sérieux du sujet traité. A l’image du « Heil myself » prononcé par le faux Hitler au début du film (un passage que je me suis passé à plusieurs reprises tellement j’ai trouvé ça ridicule mais excellent), Jeux dangereux vise avec précision et séduit par sa spontanéité qui m’empêche de lui trouver le moindre défaut.
Note : 10/10.