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L’Etrange Monsieur Victor (Jean Grémillon, 1938) – Critique & Analyse

Raimu, le port de Toulon, le soleil du Midi, de quoi se croire chez Pagnol. Mais que les illusions ne durent pas trop longtemps, car les accents chantants ne viendront pas accompagner la chaleur apaisante émanant d’une carte postale provençale. C’est dans une réalité bien plus sombre que va nous plonger Jean Grémillon dans L’Etrange Monsieur Victor.


Fiche du film

Affiche de L'Etrange Monsieur Victor (1938)
Affiche de L’Etrange Monsieur Victor (1938)
  • Genre : Drame
  • Réalisateur(s) : Jean Grémillon
  • Distribution : Raimu, Pierre Blanchar, Madeleine Renaud
  • Année de sortie : 1938
  • Synopsis : Commerçant honoré, M. Victor est, dans son arrière-boutique, le receleur d’une bande de cambrioleurs. (SensCritique)

Critique et Analyse

L'Etrange Monsieur Victor (1938)
L’Etrange Monsieur Victor (1938)

Il est important pour le cinéaste de planter le décor dans lequel va se dérouler l’intrigue de son film. Ce port animé, avec ses habitants et ses nombreux commerces, où tout le monde se connaît, ou les enfants jouent, une vraie vie de quartier au bord de la mer. Parmi ces habitants, on retrouve Victor Agardanne, tenancier d’un petit bazar où il vend diverses choses. Il y apparaît un peu comme un patriarche, une figure respectée, notamment au sein de sa famille, alors qu’il vit avec sa femme et sa mère, et qu’il n’attend que son premier enfant bien qu’il ne soit plus très jeune. Le début du film vise ainsi à s’attacher à cette figure relativement sympathique, rassurante d’apparence, chose largement facilitée par la bonhomie naturelle de Raimu. Mais le simple titre du film, et quelques traits de caractère du personnage, nous font redouter et imaginer une part d’ombre qui va rapidement se manifester.

« Dans L’Etrange Monsieur Victor, tout est question d’actions et d’inaction, le spectateur sait tout mais les personnages doivent composer avec cette réalité altérée par les mensonges de chacun, motivés par la peur que la vérité n’éclate au grand jour, et ne ruine leur existence. »

En effet, comme tout être humain, Victor a des failles et des secrets à cacher. Ce sympathique et bavard commerçant traite de temps à autre avec des criminels pour se faire un peu plus d’argent. Après tout, les temps sont durs et on vit modestement dans le port toulonnais. C’est d’ailleurs ce qui va le plonger dans les tourments de la culpabilité, quand il va commettre un acte irréversible, qui va condamner un innocent à sa place. C’est à ce moment, et dans cette seconde partie du film que L’Etrange Monsieur Victor va passer du drame social qui évoquerait rapidement le réalisme poétique de l’époque, à quelque chose s’apparentant davantage à un thriller psychologique mettant son héros à l’épreuve et face au jugement du spectateur. Car dans L’Etrange Monsieur Victor, tout est question d’actions et d’inaction, le spectateur sait tout mais les personnages doivent composer avec cette réalité altérée par les mensonges de chacun, motivés par la peur que la vérité n’éclate au grand jour, et ne ruine leur existence.

Raimu et Pierre Blanchar dans L'Etrange Monsieur Victor (1938)
Raimu et Pierre Blanchar dans L’Etrange Monsieur Victor (1938)

Le poids de la culpabilité va affecter Victor de manière irrémédiable, tandis qu’il fait naturellement tout pour profiter de cette situation qui a tourné à son avantage pour échapper à la sanction qu’il mérite. Pendant que la lumière s’estompe, les ombres s’allongent et prédominent dans ces décors reconstituant les quartiers du port toulonnais d’une manière tout à fait singulière. Le soleil et les cigales ont été mis en retrait au profit d’une ambiance bien plus pesante, où les murs hauts des immeubles cachent la lumière, où les petites ruelles deviennent un labyrinthe. Ces nombreux jeux d’ombres ne sont pas poussés au point d’être qualifiables d’expressionnistes, mais sont suffisamment significatifs pour évoquer cette atmosphère ténébreuse et paranoïaque, cette part d’ombre qui ne fait que grandir. Une autre manière d’accentuer les perspectives intervient lorsque Bastien finit par reparaître, remettant Victor face à ses propres méfaits et à sa propre culpabilité.

Comme dans un jeu de miroirs inversés, l’un paraît propre et bon à l’extérieur mais s’avère malfaisant à l’intérieur, quand l’autre, sale et émacié en extérieur, est innocent et bon à l’intérieur. Deux hommes qui ont vécu la vie de l’autre sur un coup du sort. Et, au-delà de tout cela, le film ne se veut jamais trop manichéen, les choix et l’attitude de Victor pouvant tenir de la lâcheté, mais n’avait-il pas, à l’acte initial, voulu défendre une certaine forme de justice ? Mais pour le spectateur omniscient, il ne peut y avoir de surprise, seulement l’attente de l’inévitable. A contre-emploi, Raimu parvient à aller au-delà des apparences pour incarner ce personnage torturé de l’intérieur, prisonnier de ses propres choix, face à ses propres erreurs. L’injustice et le remords trouvent avec L’Etrange Monsieur Victor une représentation très intéressante, qui mettra également le spectateur face à ses propres jugements.

Note et avis
En résumé
Opportunisme, apparences, mensonges, remords, culpabilité... L'Etrange Monsieur Victor crée un véritable cas de conscience en croisant les destins de deux hommes.
3.5
Note

Quentin Coray

Quentin, 29 ans, mordu de cinéma depuis le visionnage de Metropolis, qui fut à l'origine d'un véritable déclic. Toujours en quête de nouvelles découvertes pour élargir mes connaissances et ma vision du cinéma. "L'art existe et s'affirme là où il y a une soif insatiable pour le spirituel, l'idéal. Une soif qui rassemble tous les êtres humains." - Andreï Tarkovski

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