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As Bestas (Rodrigo Sorogoyen, 2022) – Critique & Analyse

Depuis El Reino, le cinéaste espagnol Rodrigo Sorogoyen semble s’imposer comme une des valeurs sûres du cinéma actuel. Après Madre, le voici avec As Bestas, qui semble avoir marqué l’année 2022 au cinéma, et offert une nouvelle belle pierre à son édifice cinématographique.


Fiche du film

Affiche de As Bestas (2022)
Affiche de As Bestas (2022)
  • Genre : Drame, Thriller
  • Réalisateur(s) : Rodrigo Sorogoyen
  • Distribution : Denis Ménochet, Marina Foïs, Luis Zahera, Diego Anido
  • Année de sortie : 2022
  • Synopsis : Antoine et Olga, un couple de Français, sont installés depuis longtemps dans un petit village de Galice. Ils ont une ferme et restaurent des maisons abandonnées pour faciliter le repeuplement. Tout devrait être idyllique mais un grave conflit avec leurs voisins fait monter la tension jusqu’à l’irréparable… (SensCritique)

Critique et Analyse

Denis Ménochet et Marina Foïs dans As Bestas (2022) © Lucia Faraig
Denis Ménochet et Marina Foïs dans As Bestas (2022) © Lucia Faraig

Dans ce film, le réalisateur nous invite en Galice, terre rurale au nord du Portugal, où s’est installé un couple de Français qui vit de la vente de légumes de son potager, et qui travaille sur la restauration de maisons délabrées pour attirer de nouveaux habitants. Ici, ils composent avec les habitants du coin, qui sont présentés dès la scène d’introduction au cours d’une discussion au bar, pendant une partie de dominos. Il faut attendre plusieurs minutes avant que n’apparaisse à l’écran celui qu’ils appellent « Le français », Antoine, incarne par Denis Ménochet. Voulant simplement quitter le bar, il est retenu par un des hommes qui le nargue sur le fait qu’il part sans dire au revoir. Le spectateur considère cela comme une pique innocente, un simple chambrage mais, déjà, un petit malaise s’installe.

« Amitié infaillible, combats épiques, trahisons, épreuves, loyauté : RRR combine tous les éléments d’une œuvre épique ici grandiose et sans limites affichées. »

Et c’est bien ce que va chercher à cultiver Rodrigo Sorogoyen tout au long d’As Bestas. Au fil de sa progression dans le film, le spectateur remarque de plus en plus le clivage entre le couple de Français et le reste du village, qui se montre relativement hostile à leur égard. Leurs motivations restent cependant assez floues, même s’il est fait état d’une histoire de projet de parc éolien auquel Antoine, le français, s’oppose, alors que cela pourrait constituer une belle manne financière pour tout le village, qui vit assez chichement. Mais c’est aussi la question de l’étranger qui vient s’installer et prendre une place qu’il ne méritera jamais autant que les autres. Tout cela va catalyser de vieilles tensions et raviver de profonds instincts, qui sont illustrés dans As Bestas par cette pression omniprésente bien qu’invisible, cette colère qui flotte dans l’air en permanence.

As Bestas (2022) © Lucia Faraig
As Bestas (2022) © Lucia Faraig

Pour ce faire, le cinéaste va notamment ponctuer son film de longs dialogues tournés en plans-séquence. Le procédé vise ici à ajouter de l’authenticité au film, pour que la conversation ne soit pas interrompue de manière inconsciente par des coupures de plan à plan, mais aussi pour permettre à la tension de s’installer dans le plan, de mettre le spectateur dans une forme d’attente vis-à-vis de quelque chose devant arriver. Celui qui l’illustre le mieux est certainement celui de la discussion au bar entre Antoine et ses deux adversaires, dans une volonté de crever l’abcès, de permettre à chacun d’exprimer ses véritables intentions dans un terrain neutre avant que tout ne dégénère de manière irrémédiable. Mais force est de constater que la raison n’a pas ou plus sa place dans ces terres reculées où prédominent la misère, la solitude, la peur et la loi du Talion.

Scindé en deux parties bien distinctes, As Bestas parvient à bien cerner et retranscrire la psychologie de ses personnages, qui ne viennent ici par répondre à des lois scénaristiques mais bien humaines. Car c’est bien l’authenticité qui prime dans ce film ramenant l’humain à ses instincts les plus primaires, loin de toute forme de justice moderne incapable de canaliser ces derniers, où la survie est le seul enjeu valable. Grâce à d’excellents acteurs, As Bestas est de ces films où l’on croit pleinement ce que l’on voit, où notre regard de spectateur nous mène à jouer les juges implacables face à ce que nous vivons, mais aussi à adapter notre regard pour adopter le bon point de vue. Nous même poussés par nos propres pulsions, nous finissons par ressentir ce que ressentent les personnages, dans un film qui n’hésite pas à nous étouffer et à nous prendre aux tripes pour nous faire vivre une expérience singulière.

Note et avis
En résumé
L'Enfer n'est pas qu'un milieu souterrain en proie aux flammes. Quelque part en chacun une forme de violence sommeille, et peu de lois parviendront à canaliser les instincts les plus primaires. Un thriller étouffant porté par des acteurs remarquables.
4
Note

Quentin Coray

Quentin, 29 ans, mordu de cinéma depuis le visionnage de Metropolis, qui fut à l'origine d'un véritable déclic. Toujours en quête de nouvelles découvertes pour élargir mes connaissances et ma vision du cinéma. "L'art existe et s'affirme là où il y a une soif insatiable pour le spirituel, l'idéal. Une soif qui rassemble tous les êtres humains." - Andreï Tarkovski

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