American Sniper – Critique & Analyse
Il était attendu, très attendu, même. Le dernier-né du vétéran ô combien vénérable Clint Eastwood s’est immiscé dans les salles obscures la semaine dernière avec la délicatesse d’un mammouth, balayant rapidement sur son passage le phénomène commercial dénommé 50 nuances de Grey. Véritable carton chez l’Oncle Sam, American Sniper a traversé l’Atlantique pour investir de nouveaux marchés et toucher de nouvelles cibles.
Tout d’abord, qui est cet « American Sniper » ? Il s’agit de Chris Kyle, ancien soldat du SEAL (forces spéciales de la marine américaine) qui a officié en Irak de 1999 à 2009. Celui-ci a d’ailleurs écrit ses propres mémoires, racontant son histoire et les conséquences de ses longues campagnes en Irak, également restituées sous le nom « American Sniper », dans un livre publié en 2012, un peu moins d’un an avant sa mort. Le film, qui reprend ce même titre, a reçu des critiques assez variées, et ne fait pas vraiment l’unanimité. Peut-on tout de même juger qu’American Sniper vise juste ? Cela dépend sur quels points, alors regardons cela d’un peu plus près.
Le titre en lui-même, « American Sniper », dévoile avec une certaine évidence les intentions portées par l’histoire, qui sont donc de nous faire vivre les histoires d’un héros de guerre américain. Le parti pris est donc clair. En conséquence, il est un peu bête de reprocher à American Sniper d’être totalement pro-américain, car il l’assume, et c’est bien le but recherché. Cette fois, on ne s’intéresse cependant pas à l’armée américaine en général, mais à un seul soldat, en racontant son intégration au sein des forces spéciales, ses campagnes, et ses retours en permission sur le sol américain. La problématique du film n’est pas de traiter des causes de la guerre, ou de dire que les irakiens sont des terroristes sans scrupules, mais bien de s’intéresser aux effets que la guerre peut avoir sur une personne longuement exposée aux tourments qu’elle inflige.
Dur et intense, romancé mais pas trop, un brin manichéen, American Sniper dévoile une facette intéressante de la guerre, en traitant de la guerre à proprement parler, sur le champ de bataille, mais surtout de la guerre intérieure que doit mener le soldat traumatisé par les images quotidiennes de la guerre. Il est d’ailleurs bon de noter que le ton a été nuancé par rapport au livre dont est tiré ce film. Ici, le personnage se déshumanise au cours de l’histoire, devenant peu à peu une véritable machine à tuer qui, au fil des missions, semble s’accoutumer à la situation et y découvre un réel intérêt : celui de défendre la patrie. Dans le livre, Chris Kyle était beaucoup moins tendre, et bien plus pro-américain que n’était le film. Je ne l’ai pas lu, mais je sais que certaines déclarations ont été sujettes à polémiques. Lui-même disait regretter ne pas en « avoir tué davantage », et estimé que le monde devait être débarrassé de ces « sauvages » qui « prennent des vies américaines » (oui, oui, merci Wikipédia, j’admets). Cela n’est pas totalement étranger au caractère du personnage du film, mais Eastwood a choisi un ton plus modéré dans son adaptation de l’histoire. Si le vrai Chris Kyle a vécu un véritable endoctrinement, digne d’une subite révélation divine le poussant à défendre les Etats-Unis coûte que coûte, le Chris Kyle du film vit également une révélation, mais celle-ci paraît moins violente, et le héros du film est moins radicalisé que son alter ego réel.
Comme je le soulignais dans ma critique sur Imitation Game, l’intérêt d’un Biopic est de nous raconter l’histoire d’une personne ayant réellement existé, avec suffisamment de réalisme, mais d’une manière suffisamment romancée, sinon à quoi bon appeler cela un film ? American Sniper est également romancé, et choisit de traiter le problème des effets néfastes de la guerre sur l’esprit humain, avant celui du patriotisme américain. Cela permet donc de développer une ambiance dramatique et de susciter l’empathie : ces soldats ont choisi leur sort en s’enrôlant dans la guerre, mais ont quand même eu un courage incroyable en se dévouant pour aller se battre au front. Ainsi, l’aspect pro-américain du film se retrouve placé au second plan par rapport à cette prise de conscience des soldats qui sacrifient leur corps et leur âme au nom d’une guerre qu’ils n’ont pas voulu. De plus, Eastwood a choisi d’intégrer un antagoniste précis dans le film, en ajoutant l’intervention d’un tireur d’élite redouté dans le camp adverse. D’aucuns critiqueront ce choix, pour ma part je le trouve judicieux, car cela permet d’ajouter un plus à l’histoire, quitte à l’éloigner un peu de la réalité, mais cela crée une rupture dans la linéarité de l’intrigue, en osant faire de Chris Kyle le « gentil », contre le « méchant » sniper adverse, une véritable prise de risque lorsque l’on adapte un Biopic sur grand écran.
Bien sûr, pour incarner Chris Kyle, il fallait un acteur à la hauteur. Clint Eastwood a choisi Bradley Cooper. Dois-je dire que c’est un excellent choix ou n’était-ce pas assez évident ? Loin de sa percée en tant que beau gosse du groupe de joyeux lurons de Very Bad Trip, Bradley Cooper obtient le premier rôle dans ce film on ne peut plus sérieux dans le ton. Déjà séduit par ses performances passées (Limitless et Serena entre autres), j’étais bien heureux de voir Bradley à l’affiche de cet American Sniper. Au-delà de la ressemblance physique avec le vrai Chris Kyle, très aidée, il est vrai, par le supplément capillaire ajouté au niveau des maxillaires, il fait une nouvelle fois parfaitement le job. Campant à la fois le rôle du soldat dévoué à l’efficacité incomparable, et celui du père de famille traumatisé par la guerre qui l’a transformé, sa prestation n’est pas étrangère au succès rencontré par le film.
En définitive, American Sniper est un film qui se permet de s’aventurer sur un terrain risqué, en assumant pleinement son image de film pro-américain, tout en se permettant d’adopter un discours plus nuancé que celui dont il est inspiré. Grande attente de ce début d’année, American Sniper n’est pas un film forcément transcendant, qui se perd parfois dans les longueurs et les répétitions, mais qui parvient à restituer le drame de la guerre et les traumatismes subis par les soldats américains sur le champ de bataille, sujet principal traité par Clint Eastwood dans cette adaptation de l’autobiographie de Chris Kyle. Ce film est à retenir avant tout pour sa problématique et l’excellente prestation de Bradley Cooper. Si vous n’y voyez qu’un autre film vantant la suprématie de l’Oncle Sam et le courage de ses héros, alors c’est dommage.
Note : 7,5/10
Bande-annonce d’American Sniper