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Tár (Todd Field, 2023) – Critique & Analyse

La musique, un art de technique, millimétré, avec ses exigences et ses codes. Un peu comme le cinéma pourrions-nous dire, sur lequel nous projetons nos idéaux, fantasmes et éventuelles frustrations, à la recherche de la perle rare qui éveillera en nous des émotions rarement invoquées. Ainsi se présente l’étonnant Tár, un film relativement singulier qui nous bouscule dans nos certitudes.


Fiche du film

Affiche de Tár (2023)
Affiche de Tár (2023)
  • Genre : Drame
  • Réalisateur(s) : Todd Field
  • Distribution : Cate Blanchett, Nina Hoss, Noémie Merlant, Julian Glover
  • Année de sortie : 2023
  • Synopsis : Lydia Tár, cheffe avant-gardiste d’un grand orchestre symphonique allemand, est au sommet de son art et de sa carrière. Le lancement de son livre approche et elle prépare un concert très attendu de la célèbre Symphonie n° 5 de Gustav Mahler. Mais, en l’espace de quelques semaines, sa vie va se désagréger d’une façon singulièrement actuelle… (SensCritique)

Critique et Analyse

Cate Blanchett dans Tár (2023)
Cate Blanchett dans Tár (2023)

Tár : une partition millimétrée ne laissant aucune place au hasard

Il faut attendre le passage d’un premier générique pour que Tár s’ouvre sur une longue interview de la principale intéressée, ici présentée par l’animateur avec une succession de superlatifs, et la longue énumération de tous les accomplissements réalisés par la brillante cheffe d’orchestre. S’ensuit une discussion mettant en avant la vision de l’artiste et toute l’amplitude de ses connaissances, dans une sérénité qui traduit toute l’habitude qu’elle peut avoir dans ce genre d’exercice. Puis, ce long dialogue terminé, l’artiste est mise en scène dans un cours, la scène étant tournée en plan-séquence, confrontant l’artiste à d’autres visions des choses, notamment sur la perception d’une œuvre selon la personnalité d’un artiste. De cette première partie de film émerge un premier enseignement : Tár doit être aussi maîtrisé que ne le serait un concert mené par la cheffe d’orchestre.

« Un choix de rythme, porté sur la longueur et la profusion de dialogues s’impose au spectateur qui comprend ainsi que la patience sera le maître mot dans l’approche du film de Todd Field. »

Un choix de rythme, porté sur la longueur et la profusion de dialogues, s’impose donc au spectateur qui comprend ainsi que la patience sera le maître mot dans l’approche du film de Todd Field. Ces dialogues, remplis de références et d’anecdotes qui tendent à nous échapper, décrivent indirectement un monde assez élitiste ou, tout du moins, l’expression d’une culture supérieure à la nôtre dans un domaine que nous ne maîtrisons pas. L’idée qui se trouve derrière est de nous maintenir à une certaine distance de ces personnages, nous confrontant à une forme d’inculture qui rendrait ces conversations lettrées quelque peu pédantes envers nous. Et c’est bien le but de Tár, qui est d’égratigner son personnage principal et le monde qui l’entoure, cette figure adoubée par son public ayant une fort part d’ombre à cacher, sans même qu’elle n’en ait véritablement conscience.

Tár (2023)
Tár (2023)

Traiter les dérives du pouvoir sans verser dans le démonstratif

Ainsi, l’enjeu de Tár est de montrer à quel point le personnage de Lydia Tár est en décalage constant avec le monde qui l’entoure, quand elle est persuadée d’être en contrôle total de ce dernier. Cela passera par une jeune cheffe d’orchestre en devenir dont elle détruit la réputation jusqu’à la pousser au suicide, une assistante en admiration, voire plus, qui est sans cesse reléguée à sa condition, une compagne délaissée ou, encore une jeune musicienne prodige qui fait tourner la tête de l’artiste. Bien qu’il s’agisse parfois de chercher dans certains codes de genres bien définis pour traduire les sentiments de son personnage (les psychoses nocturnes, les cris dans les bois pendant un footing, l’exploration de quartiers délaissés), ajoutant presque une touche d’onirisme au film, Tár reste les pieds sur terre et cherche plutôt à donner du sens sur la durée. Le film ne cherche pas à exposer des évidences, laissant le soin au spectateur de cerner le personnage principal et, surtout, sa façon d’être auprès des autres, qui traduit sa réelle personnalité. Une personnalité qui a engendré un monde aseptisé, sans émotions, un véritable paradoxe tant la musique est un art guidé par les émotions, ce que lui rappellera une jeune musicienne qui a su développer son talent grâce à sa perception des choses et à ses émotions, plus que grâce à de la méthode pure.

Dans cette longue partition souvent jouée pianissimo, se cacheront quelques envolées, notamment musicales, où la puissance évocatrice de cet art s’exprime pour galvaniser l’héroïne ou, au contraire, la briser. Cherchant à explorer les mécanismes et les travers du pouvoir en notre temps, notamment par le prisme des réseaux sociaux et du mouvement Metoo, Tár montre que le pouvoir peut rendre fort mais pas invincible, et que la chute peut être bien plus rapide que l’ascension qui a mené au sommet. Il est évidemment naturel de saluer l’immense performance de Cate Blanchett, d’une justesse et d’une aisance remarquables, dans une performance qui lui vaudra certainement une statuette aux Oscars. Le tout dans un film qui se crée une place à part dans le paysage cinématographique américain, à la longueur pouvant paraître décourageante quand celle-ci s’avère toute relative par rapport au ressenti effectif. Le temps passe, et les uns remplacent les autres dans cette éternelle valse où chacun veut mener la danse.

Note et avis
En résumé
La beauté formelle de Tár ne fait aucun doute, comme la superbe performance de Cate Blanchett. Une beauté austère, où le pouvoir et la réussite ont dévoré les émotions, essentielles à la musique. Une chute qui s'amorce très lentement, mais qui survient sans coup férir.
3.7
Note

Quentin Coray

Quentin, 29 ans, mordu de cinéma depuis le visionnage de Metropolis, qui fut à l'origine d'un véritable déclic. Toujours en quête de nouvelles découvertes pour élargir mes connaissances et ma vision du cinéma. "L'art existe et s'affirme là où il y a une soif insatiable pour le spirituel, l'idéal. Une soif qui rassemble tous les êtres humains." - Andreï Tarkovski

1 réflexion sur “Tár (Todd Field, 2023) – Critique & Analyse

  • picaud

    Tár, comme toutes les grandes œuvres, est polysémique et ne se livre pas aussi facilement qu’il y paraît. la lecture et l’analyse que vous en faites -et qui est majoritaire- n’est pas la seule. Plutôt que de voir en Tár une femme tourmentée par sa propre psychée, peut-être peut-on juste y voir une artiste, authentique, talentueuse et sans concession quant à son art, tourmentée par des individus plus ou moins médiocres et/ou intéressés et/ou jaloux et/ou stupides pour lesquelles elle constitue une proie facile étant donnée son incapacité à s’intéresser vraiment à autre chose qu’à la musique et à la façon dont elle traduit et transmet les émotions et les troubles qui traversent les êtres.
    Tár est-elle victime d’hallucinations, de visions ou bien est-elle manipulée, piégée, puis liquidée par des femmes et des hommes qui ont noué avec elle des relations plus ou moins sincères et plus ou moins intéressées, qu’elle a déçus dans leurs attentes, leurs ambitions et qui, finalement, exploitent son inconséquence, son intransigeance et l’accès qu’elle leur a donné à sa vie et à son intimité pour la détruire et mettre fin à ce qu’ils considèrent (consciemment ou pas) comme une usurpation dans le domaine par excellence de la grande bourgeoisie et de la phallocratie: la grande musique symphonique, ses grands compositeurs et ses grands chefs.
    Tár est une insulte à la bienséance et à la pensée woke – même en tant que lesbienne elle ne respecte pas les codes car elle veut ouvrir son école aux hommes – elle est sortie de son milieu, de son sexe, des règles du métier, de sa communauté, bref elle est en terrain découvert et a vexé beaucoup trop de gens sans le vouloir, juste en les confrontant à leurs propres insuffisances, voire leur médiocrité. Il n’est même pas besoin qu’ils s’entendent ou conspirent, ils savent tous utiliser ou provoquer l’occasion qui leur est donnée de sonner l’hallali – réseaux sociaux aidant – se moquant pas mal de la vérité, de son talent et de la musique. Vous ne mentionnez pas cette très brève séquence montrant un échange de textos complices et assez vachards entre l’assistante et la future suicidée à propos de Tár , endormie: cette séquence n’est pas là par hasard et elle donne selon moi un contexte d’entente malveillante et complotiste qui ne peut être écarté.

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