Le Tigre et le Président (Jean-Marc Peyrefitte, 2022) – Critique & Analyse
Pour le souvenir qu’il en reste généralement dans la mémoire collective, peu de présidents de la Troisième République ont accédé à la postérité. Pouvoir limité, époque de plus en plus lointaine, leurs noms sont souvent relégués à quelques citations lors de cours d’histoire. Imaginez alors un président qui ne serait resté en fonction que quelques mois, comme ce fut le cas de Paul Deschanel. C’est pourtant principalement de lui que Le Tigre et le Président vient nous parler.
Fiche du film
- Genre : Comédie, Epouvante-Horreur
- Réalisateur(s) : Jean-Marc Peyrefitte
- Distribution : Jacques Gamblin, André Dussollier, Christian Hecq, Anna Mouglalis
- Année de sortie : 2022
- Synopsis : “Comment a-t-on pu élire un homme qui voulait abolir la peine de mort, donner le droit de vote aux femmes et leur indépendance aux colonies ?” s’interroge Georges Clemenceau, qui, contre toute attente, vient de perdre l’élection présidentielle face à un inconnu, un certain Paul Deschanel. Pourtant, le nouveau président s’investit pleinement dans sa nouvelle fonction, et même si la tâche est immense et la pression insoutenable, ses premiers pas impressionnent. Mais le cynisme du monde politique, le jeu des institutions et la violence des campagnes médiatiques le rattrapent et le font bientôt dérailler. Un soir, il tombe d’un train et se volatilise… (SensCritique)
Critique et Analyse
Paul Deschanel, un président pas comme les autres, né en Belgique, et dont le fait le plus mémorable reste une chute d’un train en marche qui a progressivement mené vers sa démission prématurée. Un palmarès peu reluisant pour ce premier président de l’après-guerre, qui dut affronter de multiples défis. Car cette époque, tiraillée entre le devoir de mémoire et la volonté d’aspirer à de nouveaux idéaux, devait être décisive quant au risque d’un regain de violence, notamment en pleine édition du terrible traité de Versailles. C’est d’ailleurs sur ce point que s’ouvre le film, qui montre Georges Clemenceau en position de force, en train d’imposer aux allemands ses conditions pour mettre l’ancien ennemi à genou et donner à la France la vengeance tant désirée.
« Sur un ton résolument comique et enjoué, Le Tigre et le Président accompagne l’ascension de Paul Deschanel, en perpétuel décalage avec son époque, puis sa chute, inéluctable. »
Il s’agit donc de montrer d’emblée le Tigre en tant que décisionnaire, pendant que le président reste en retrait. En effet, Poincaré n’apparaîtra vraiment que lors de la passation de pouvoir avec son successeur, en lui disant que c’est un travail tranquille où il s’agit d’inaugurer des monuments, de faire de la représentation, et que le plus important reste le choix des chrysanthèmes pour les cimetières. Mais, pour Deschanel, il ne peut en être ainsi. D’abord moqué par Clemenceau qui ne manque jamais de le railler, Deschanel, présenté comme un outsider, convainc toute l’Assemblée et humilie son adversaire par l’éloquence pour prendre le pouvoir. Un nouveau président atypique, aux idées étonnamment modernes, qu’il va falloir mettre en œuvre. Sur un ton résolument comique et enjoué, Le Tigre et le Président accompagne l’ascension de Paul Deschanel, en perpétuel décalage avec son époque, puis sa chute, inéluctable.
Un ton que l’on pourrait juger préjudiciable envers l’image de cet homme que le film cherche justement à redorer. Mais, en même temps, c’est ce qui crée un attachement envers lui. Les virages burlesques du Tigre et du Président permettent de restituer le rythme intenable imposé par ce poste et toute l’absurdité du système qui l’entoure. Un aspect comique contrebalancé par des inserts oniriques, illustrant ses pertes de lucidité liées au surmenage, ajoutant une note de gravité bienvenue. En procédant ainsi, le film se débarrasse quelque peu de l’allure « clownesque » de son personnage principal pour mieux exposer ses tourments et l’injustice que fut sa destinée.
Il va sans dire que Le Tigre et le Président semble prendre des libertés délibérées par rapport à la réalité, rendant Paul Deschanel plus moderniste qu’il ne l’était probablement, et Clemenceau se voyant se faire tirer un portrait bien peu flatteur. Un film qui essaie des choses, pas toujours avec un succès total, mais il réussit à nous faire nous intéresser à l’histoire de ce président méconnu, sûrement tombé à la mauvaise époque pour réaliser tout ce qu’il souhaitait mettre en place. Un mot, bien sûr, sur les deux comédiens principaux, Jacques Gamblin et André Dussollier qui forment un très beau duo, et proposent un très beau duel, en donnant vie à leurs personnages. Le Tigre et le Président est certes imparfait, mais il rend bien hommage à un homme à part dans l’histoire de la présidence de la République française.