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Frantz (François Ozon, 2016) ★★★½ : Rencontres et reconstruction

La guerre, un bien vaste sujet. On peut parler de l’avant, du pendant, de l’après, de ses effets, des batailles, de la politique, ou de tout en même temps. Dans Frantz, François Ozon en fait un point de départ. Retournons cent ans en arrière.


Fiche du film

Affiche de Frantz (2016)
Affiche de Frantz (2016)
  • Genre : Drame
  • Réalisateur : François Ozon
  • Distribution : Paula Beer, Pierre Niney, Ernst Stotzner
  • Année de sortie : 2016
  • Synopsis : Au lendemain de la guerre 14-18, dans une petite ville allemande, Anna se rend tous les jours sur la tombe de son fiancé, Frantz, mort sur le front en France. Mais ce jour-là, un jeune français, Adrien, est venu se recueillir sur la tombe de son ami allemand. Cette présence à la suite de la défaite allemande va provoquer des réactions passionnelles dans la ville. (SensCritique)

Critique et Analyse

Paula Beer dans Frantz (2016)
Paula Beer dans Frantz (2016)

En 1919, dans une petite ville allemande, on est tout sauf à la fête. La guerre est perdue, et les pertes, innombrables. Autour de cette quiétude apparente règne une odeur de mort. Ici, François Ozon a volontairement représenté cette atmosphère en tournant la grande majorité de son film en noir et blanc. Probablement pour se raccrocher à une idée de l’ancien, à une époque où la couleur n’existait pas au cinéma, et certainement pour illustrer l’aspect désolé, désespéré et fatigué de l’Allemagne d’après guerre. Les parents pleurent leurs enfants morts, les fiancées pleurent un futur mari fauché par l’horreur de la guerre, et un avenir qui ne se réalisera jamais. Au milieu de ces âmes éplorées, un étranger solitaire vient aussi déposer des fleurs sur la tombe d’un soldat tombé au front. Mais qui est ce jeune français qui ose venir sur les terres encore récemment ennemies alors que les blessures sont toujours à vif ?

« François Ozon restitue le climat d’après-guerre en le ramenant à une échelle réduite, pour construire une réflexion sur l’amour, le destin et notre rapport à la réalité. »

Si une explication est assez vite donnée concernant les liens entre Adrien et Frantz, le spectateur se doute aussi assez rapidement de quoi il en est réellement. Alors que les questionnements se multiplient, les personnages créent des liens, ils se reconstruisent peu à peu et pansent les plaies, mais le spectateur est face à la cruelle vérité : tout n’est que mensonge et illusion. Tout du moins, ce nouvel équilibre qui se construit et qui s’installe est le fruit de mensonges, même si des sentiments réels et des intentions nobles se dessinent dans les actes des personnages. Et l’Allemagne d’après guerre est un terrain propice à une telle mise en situation, avec le sentiment de défaite qui l’accable, et la paix tout à fait illusoire qui s’est installée et, surtout, qui lui a été infligée. En d’autres termes, François Ozon restitue le climat d’après-guerre en le ramenant à une échelle réduite, pour construire une réflexion sur l’amour, le destin et notre rapport à la réalité.

Frantz (2016)
Frantz (2016)

Frantz, c’est surtout des chemins qui se croisent, avec un lourd passé derrière eux, et un avenir qui pourrait se dessiner. La complicité qui semble s’établir entre Anna et Adrien ne fait pas le moindre doute, et pourtant, cette histoire est vouée à l’échec. Mauvaise période de leurs vies, mauvaise période de l’Histoire, à ce moment précis, ils ne peuvent trouver une voie commune. Frantz laisse suggérer ces espoirs d’avenir, tout en les confrontant à une réalité beaucoup plus brutale. Car, derrière cette relation entre les deux personnages, c’est bien la quête de soi qui est racontée. Adrien, traumatisé par la guerre, cherche à oublier sa propre condition, à réparer ses erreurs, quitte à se faire passer pour quelqu’un d’autre, à prendre une place qui a été laissée vacante, pour faire fi de sa propre existence qui lui déplait. Pour Anna, c’est un moyen de faire son deuil, de guérir le mal par le mal, de retrouver sa voie avec un contexte familier, mais elle doit elle aussi tourner la page, passer à autre chose, à l’image de la symbolique transportée par Le Suicidé de Manet, et créant une analogie avec l’Allemagne d’après guerre.

Frantz est un beau film, sur la forme mais aussi sur le fond. Peut-être parfois un peu trop clair dans ses intentions, il parvient à faire preuve d’une grande pudeur, à raconter les choses avec un certain sens de la poésie. J’ai été assez séduit par la beauté douce-amère que dégage Frantz. Pierre Niney et Paula Beer véhiculent une belle alchimie, oscillant entre une certaine forme de complicité, et de pudeur, étant toujours dans la fuite. L’histoire de destins qui se croisent et qui se brisent, de vies idéalisées et modelées par le sort et les circonstances, où l’on préfère parfois réécrire l’histoire pour vivre à nouveau.


Note et avis

3.25/5

La beauté de Frantz ne fait pas de doute, et même si elle n’est pas éblouissante, elle promet un beau moment de poésie mélancolique.

Bande-annonce du film

Quentin Coray

Quentin, 29 ans, mordu de cinéma depuis le visionnage de Metropolis, qui fut à l'origine d'un véritable déclic. Toujours en quête de nouvelles découvertes pour élargir mes connaissances et ma vision du cinéma. "L'art existe et s'affirme là où il y a une soif insatiable pour le spirituel, l'idéal. Une soif qui rassemble tous les êtres humains." - Andreï Tarkovski

3 réflexions sur “Frantz (François Ozon, 2016) ★★★½ : Rencontres et reconstruction

  • Bravo pour ce très beau texte sur un film qui a le charme de l’ancien mais tout en restant moderne. J’y ai personnellement vu un hommage aux tragédies naturalistes depeintes par Murnau, plus qu’un réel remake de la très émouvante version signée Lubitsch.

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  • Décidément, François Ozon est un cinéaste éclectique, capable de réaliser des œuvres majeures, comme « Sous le sable », « Huit femmes », « Swimming Pool », « Dans la maison », ainsi que des ratages beaucoup plus discutables et complaisants, comme « Jeune et Jolie » et « Une nouvelle amie ». Donc, il est souvent difficile de savoir avec lui sur quel pied danser…
    Disons qu’avec « Frantz », nous retrouvons indéniablement le très grand cinéaste qu’il est parfois capable d’être.
    « Frantz » est un film très fort, qui fonctionne constamment dans l’émotion, sans la moindre fausse note, sans le moindre répit. Peut-être peut-on parler de grand film romantique avec cette histoire, sorte de dommage collatéral de la grande boucherie de 14-18, sans doute, mais sans aucune mièvrerie, sans aucun pathos exagéré. On retrouve François Ozon, le Ozon capable de nous raconter une histoire, une histoire à laquelle on a envie de croire, avec des gens « purs », honnêtes, profondément humains, en même temps qu’intelligents et sensibles, dominant magistralement un scénario aussi habile que vraisemblable, capable de nous mener sans problèmes vers des fausses pistes afin de mieux nous asséner des scènes merveilleuses et étonnantes.
    En outre, techniquement, c’est magistral, ne serait-ce que par l’idée d’utiliser le noir et blanc, toujours aussi beau esthétiquement, tout en revenant parfois à la couleur, sans aucun artifice, sans aucune affèterie. Du coup le montage est merveilleusement fluide et le film est superbe. Quant à la direction d’acteurs, elle est tout bonnement stupéfiante. On galvaude souvent le terme de « solaire », pourtant c’est bien le terme qui s’impose pour qualifier le jeu de Paula Beer, étonnante de fraîcheur et de sensibilité. Pierre Niney est au diapason, ainsi que le couple, débordant d’émotion, Marie Gruber et Ernst Stötzner.
    Enfin, le film de François Ozon est aussi un grand film politique, un grand film pacifiste, le contexte historique étant en permanence important. A une certaine époque, pas si lointaine, le film eût été interdit (on n’a pu voir en France « Les Sentiers de le gloire » de Stanley Kubrick qu’en 1975!!!). Espérons que, compte tenu du contexte actuel, il ne soit pas interdit dans les mois qui viennent!

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