CritiquesAnnées 1970 - 1990

Cinexpress #40 – Solaris (1972)

Après deux films très « historiques », Andreï Tarkovski s’attaque à un genre tout autre, la science-fiction. Genre permettant de nombreuses libertés, la science-fiction semble être un terrain de jeu parfait pour le cinéaste russe. Considéré comme étant la « réponse russe » au 2001 : L’Odyssée de l’Espace de Kubrick, Solaris cherche également à interroger par le biais du lointain et de l’inconnu, se permettant même d’être encore plus conceptuel et moins évocateur.

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Affiche de Solaris (1972)
Affiche de Solaris (1972)

  • Genre : Science-Fiction
  • Réalisateur : Andreï Tarkovski
  • Année de sortie : 1972
  • Casting : Donatas Banionis, Natalya Bondarchuk, Jüri Järveti, Anatoli Solonitsyne
  • Synopsis : Le cosmonaute Kris Kelvin reçoit la mission de se rendre sur la planète Solaris afin d’enquêter sur les événements étranges qui s’y sont produits. (senscritique.com)

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Donatas Banionis dans Solaris (1972)
Donatas Banionis dans Solaris (1972)

Le film s’ouvre comme un poème vivant, ou une peinture animée que le spectateur est invité à scruter avec fascination. Les algues ondulent dans un étang, le vent souffle sur un vaste champ, un brouillard enveloppe le paysage… Tarkovski montre d’emblée des éléments récurrents de son oeuvre, en nous faisant contempler la nature, en nous faisant prendre racine dans un cadre qui nous intrigue et nous rassure en même temps. « Là tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté » dirait Baudelaire, une dernière bouffée d’air frais avant le saut vers l’inconnu, le départ pour un monde lointain et hostile. Comme Andreï Roublev était un homme de foi, un artiste avec sa vision du monde, Kris Kelvin est un homme de pensée, envoyé comme dernier recours pour comprendre l’étrange comportement de cosmonautes partis en mission autour de Solaris, une planète étrange dont on dit qu’elle est recouverte d’un océan composé d’une matière intelligente.

Cette planète, il n’est pas question de l’approcher de trop près, ni de trop la montrer. Nul n’a été capable de vraiment l’approcher, et encore moins de fouler son sol. Tarkovski ne veut pas nous faire explorer l’espace. La mission spatiale n’est qu’un prétexte pour sonder la conscience des cosmonautes. Rapidement, Kris est mis face au fait accompli : la proximité avec Solaris redonne vie à des souvenirs que chacun a en lui. Ces souvenirs, qui prennent la forme de personnes, peuvent être touchés, on peut parler avec eux, mais nul n’est réellement capable de comprendre leur comportement ni leurs intentions. Parfois présents sans agir, parfois pris d’accès de colère ou de peur, parfois endormis, ces personnages sont de simples personnifications des souvenirs des membres de l’équipage. Ce que Tarkovski montre ici, c’est que notre passé nous accompagne où qu’il soit. Des fois, nous n’y prenons pas attention, des fois il resurgit subitement et nous frappe en plein cœur. L’attachement au souvenir est exposé de deux manières, d’un côté l’affectif, et de l’autre le dangereux, celui qui fait que nous devenons prisonniers de nos souvenirs et de notre passé.

Donatas Banionis et Natalya Bondarchuk dans Solaris (1972)
Donatas Banionis et Natalya Bondarchuk dans Solaris (1972)

Cette dualité s’exprime à travers le comportement de Khari, mais également l’attachement des personnages envers leur Terre natale. Comme dans un geste de nostalgie innocente, le Dr Snaut colle des morceaux de papier décollé sur un ventilateur pour rappeler le bruit du vent dans les feuilles d’un arbre, souvenir d’un son familier et rassurant. A contrario, une longue séquence montre le parcours d’une voiture dans le périphérique de Tokyo, bétonné, gris, morne, où les bouchons s’accumulent, dans une vision sombre et inquiétante qui ressemble à celle de Koyaanisqatsi. Solaris agit comme un étrange jeu de miroirs, où l’homme semble quelque peu capable d’anticiper ce qu’il attend, mais n’est pas en mesure de contrôler les effets de ce qu’il a vécu sur lui-même. Dans une échelle plus large, la surface de Solaris rejoint cette idée, sa surface étant entièrement recouverte d’un océan, lieu originel de la création de la vie, mais également un univers insondable et inquiétant. Tout tourne donc autour de ce que notre passé, que nous sommes supposés mieux connaître que quiconque, a de plus mystérieux, et autour de son influence sur le présent et le futur.

Là où Kubrick, dans son 2001 : L’Odyssée de l’Espace, montrait le dépassement de l’Homme par l’outil, Solaris montre, en quelque sorte, le dépassement de l’Homme par l’Homme. Andreï Tarkovski, après avoir traité l’innocence dans L’Enfance d’Ivan, puis la foi dans Andreï Roublev, parle ici du passé avec la qualité d’écriture et de réalisation qu’on lui connaît et dont il est difficile de douter. L’humain reste au cœur du sujet, entre ce qui semble être ancré au fond de lui, être sa base, mais qui, en même temps, le dépasse, et nous dépasse. Film très sobre, étiré, assez obscur, Solaris est une pierre majeure que Tarkovski apporte à la science-fiction. Il y impose ici l’essence de son cinéma pour se réapproprier le genre et proposer une nouvelle fois une expérience déroutante et fascinante.

Note : 9/10.

Quentin Coray

Quentin, 29 ans, mordu de cinéma depuis le visionnage de Metropolis, qui fut à l'origine d'un véritable déclic. Toujours en quête de nouvelles découvertes pour élargir mes connaissances et ma vision du cinéma. "L'art existe et s'affirme là où il y a une soif insatiable pour le spirituel, l'idéal. Une soif qui rassemble tous les êtres humains." - Andreï Tarkovski

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