2001 : L’Odyssée de l’Espace, Stanley Kubrick, 1968 : Valse interstellaire
Pour commencer l’année 2015, j’ai vu les choses en grand. En première instance, je pensais le regarder en séance nocturne, ne pouvant attendre davantage. Mais je dois avouer que je ne serais pas allé au bout même avec toute la volonté du monde. C’est donc de bon matin que je me suis lancé dans ce qui est considéré par le sens commun comme un véritable chef d’œuvre du cinéma. Il était également intéressant de le regarder quelques temps après avoir vu Interstellar, avec lequel il est régulièrement comparé, étant considéré comme en étant un aïeul. Un aïeul au prestige indéniable et encore intact.
Alors je lance le film. Ecran noir… Le temps avance, l’écran reste toujours noir, et une musique sombre se lance, allant crescendo jusqu’à la troisième minute où le film démarre. J’ai alors compris que je ne m’étais pas lancé dans n’importe quel film. Comment résumer quelque chose qui ne peut pas l’être ? 2001 : L’Odyssée de l’Espace porte bien son nom. A l’image d’Ulysse dans l’Odyssée, nous quittons la terre pour partir vers un voyage a priori sans retour et aux multiples détours imprévus et imprévisibles. Stanley Kubrick a choisi de diviser son œuvre en quatre actes. Le premier acte nous renvoie quatre millions d’années en arrière, à l’aube de l’humanité. Le second nous fait avancer dans le futur, en 1999. Le troisième nous fait avancer jusqu’en 2001 et le quatrième… Surprise !
Ce film est un véritable OVNI en lui-même. En plus d’être très avant-gardiste pour l’époque, celui-ci se permet d’être un film de science-fiction vraiment pas comme les autres. Dans le premier acte, le retour dans le passé permet de s’intéresser aux origines de l’humanité et de découvrir une époque où l’homme n’était encore qu’un animal comme les autres, traqué et chassé par les prédateurs de la savane. Il crie pour alerter ou faire fuir, et doit se servir d’outils pour évoluer et subsister. Dans les deux actes suivants, Kubrick dévoile son image du futur, où l’homme s’est lancé à la conquête de l’espace et s’intéresse à la découverte de nouveaux mondes.
Le second acte nous amène sur la lune, où l’homme s’est basé et a découvert d’étranges signes. Dans le troisième acte, nous suivons la missions d’un équipage en mission vers Jupiter. L’un des points centraux de ce film, notamment développé dans le troisième acte, réside dans la relation entre l’homme et la technologie. En effet, dans un futur où presque tout deviendra possible, l’homme, qui a toujours su mettre son intelligence à profit pour mettre au point de nouvelles inventions, ne sera-t-il pas un jour confronté à la menace d’être lui-même dépassé par ses propres inventions ?
Le film a bien sûr un intérêt esthétique, car il est vraiment magnifique pour l’époque. Nous voyageons dans le vaste cosmos, on survole des décors désolés de planètes inhabitées, on observe des vaisseaux titanesques… Mais il joue avant tout sur la psychologie, sur notre méconnaissance du futur et de l’infinité de l’espace. Nous sommes habités par la même angoisse que Dave Bowman, envoyé en mission vers Jupiter, dont la maîtrise du vaisseau a été confiée à HAL-9000, un ordinateur surpuissant et supposé infaillible. Bowman va être confronté à l’inconnu et à l’imprévisible dans une situation qui rappelle Gravity, un exemple beaucoup plus récent. Dans le vaste espace, qui viendra vous sauver ? Comment faire quand le vide infini vous laisse dans une solitude absolue, jusqu’à ce que votre respiration devienne la seule mélodie audible dans ce silence obstiné et terrifiant ?
Et que dire du quatrième acte… Je ne pourrais même pas le décrire car il est tout bonnement indescriptible. Il représente l’apothéose d’un space opera rempli de mystères, qui nous transporte à travers un voyage interstellaire et vous propulse vers l’inconnu et les peurs viscérales qu’il inspire. Qui a fabriqué ces mystérieux monolithes, pourquoi et à quoi servent-ils ? Quid de la mission vers Jupiter ? Les questions sans réponse sont au cœur de ce film d’une lenteur oppressante, laquelle est un élément central de l’ambiance que veut restituer Kubrick. Celui-ci a su subdiviser son œuvre en quatre actes bien distincts et pourtant tous bien liés, entre autres par la découverte et la volonté de percer à jour les mystères de l’univers.
Stanley Kubrick a déversé toute son ambition dans ce film, colossale réalisation qui ne laisse rien au hasard et se permet de rester encore incomparable presque cinquante ans après. Il fait marcher les gens la tête à l’envers, crée des vaisseaux démesurés, se hisse à la pointe des connaissances scientifiques de l’époque… Il ne s’est donné aucune limite dans son art en constituant ainsi un classique parmi les classiques, et nous permettant de vivre une expérience unique qui s’étale sur plus de deux heures. Il est impossible de relever tous les éléments importants du film, car ils le sont tous, et lui confèrent une justesse absolue.
Interstellar avait eu le mérite de me faire le même effet à sa sortie. 2001 : L’Odyssée de l’Espace est un film cruellement froid et silencieux, à l’image du vaste espace, et il nous inspire à la fois la peur et la curiosité qui nous animent face à l’inconnu. Accompagné d’une bande originale classique devenue culte, Stanley Kubrick nous a composé une valse interstellaire déstabilisante, qui vous fera voyager à travers les dimensions et vous retournera littéralement le cerveau. Il est bien difficile de ne pas se sentir perturbé et gêné au visionnage de ce film, mais cette sensation d’avoir vu quelque chose de grand et d’impalpable, capable de vous surprendre et de vous laisser encore dans le doute, est bien trop rare pour ne pas considérer ce film comme un véritable classique qu’il faut avoir vu au moins une fois dans sa vie.