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Cinexpress #163 – Phantom Thread (2018)

Chaque sortie d’un nouveau Paul Thomas Anderson est un petit événement dans la sphère cinéphile. Surtout lorsque l’on voit Daniel Day-Lewis à l’affiche, un acteur s’étant fait de plus en plus rare ces dernières années, et menaçant de prendre sa retraite très prochainement, voire de faire de ce personnage de Reynolds Woodcock son ultime rôle. Leur précédente collaboration, dans There Will Be Blood, pouvait légitimement laisser présager quelque chose de très bon, et les premiers retours au sujet de Phantom Thread allaient tout à fait en ce sens. Il était tout naturel d’aller voir ce qu’offrait Paul Thomas Anderson dans ce nouveau film.


Fiche du film

Affiche de Phantom Thread (2018)
Affiche de Phantom Thread (2018)
  • Genre : Drame
  • Réalisateur : Paul Thomas Anderson
  • Année de sortie : 2018
  • Casting : Daniel Day-Lewis, Vicky Krieps, Lesley Manville
  • Synopsis : Dans le Londres glamour des années 50, le célèbre couturier Reynolds Woodcock et sa sœur Cyril sont au cœur de la mode britannique, habillant la famille royale, les stars de cinéma, les héritières, les mondains et les dames dans le style reconnaissable de la Maison Woodcock. Les femmes défilent dans la vie de Woodcock, apportant à ce célibataire endurci inspiration et compagnie, jusqu’au jour où il rencontre Alma, une jeune femme au caractère fort qui deviendra rapidement sa muse et son amante. Lui qui contrôlait et planifiait sa vie au millimètre près, le voici bouleversé par l’amour. (senscritique.com)

Critique et Analyse

Vicky Krieps dans Phantom Thread (2018)
Vicky Krieps dans Phantom Thread (2018)

Paul Thomas Anderson est connu pour être un adepte des drames, les réalisant toujours avec beauté et maîtrise, mais avec ce quelque chose qui agresse le spectateur pour le mettre dos au mur et face à la réalité du monde. Le cinéaste a toujours eu cette capacité à démythifier les choses, de montrer leurs aspects négatifs, mais non sans une notion de beauté, et jamais dans une volonté de choquer gratuitement. Dans There Will Be Blood, l’ascension d’un homme se faisait à travers la violence et la destruction. Dans Magnolia, divers personnages se retrouvaient dans une période-clé de leur vie, face à une rupture qui les mettait face à leur condition et les changeant durablement. Dans la logique des choses, Phantom Thread, cette histoire d’amour qui a tout pour être jolie et enjouée, ne pouvait que devenir un conte rude et violent. Chose qui se confirme rapidement à travers la tournure progressive des événements, mettant en lumière la face cachée de l’amour, celle que l’on refuse de voir et qui, pourtant, est essentielle.

« Dans Phantom Thread l’amour s’exprime parfois avec tendresse pour montrer le bonheur qu’il peut procurer, mais il est également source de violences et d’incompréhensions, fragilisant ceux qu’il lie en rappelant surtout que c’est souvent dans le malheur que l’on se rappelle à quel point on tient et on a besoin de ceux que l’on aime. »

L’amour est d’abord fortuit, et opportun. L’un erre dans sa routine, vit avec dévotion mais sa passion peine à s’enflammer. L’autre mène une vie modeste, est maladroite, mais dégage une fraîcheur innocente. Dans cette solitude partagée, Reynolds et Alma se trouvent, échangent, découvrent un terrain d’entente propice à une relation heureuse dont les ficelles d’une vie commune pleine de roses et de soleil commencent doucement à se dessiner. Mais l’amour n’est pas qu’un bonheur aveugle qui se construit et se développe sur des piliers de guimauve. Le cinéma nous a beaucoup habitués à ces jolies romances innocentes qui finissent toujours bien, mais Paul Thomas Anderson, lui, nous a davantage habitués à la dualité, à l’équilibre essentiel entre positif et négatif. Dans Phantom Thread l’amour s’exprime parfois avec tendresse pour montrer le bonheur qu’il peut procurer, mais il est également source de violences et d’incompréhensions, fragilisant ceux qu’il lie en rappelant surtout que c’est souvent dans le malheur que l’on se rappelle à quel point on tient et on a besoin de ceux que l’on aime.

Daniel Day-Lewis dans Phantom Thread (2018)
Daniel Day-Lewis dans Phantom Thread (2018)

Reynolds est un homme plein de certitudes, solitaire, qui a besoin que tout soit cadré, et se voir ainsi fragilisé par Alma l’effraie. Cette dernière voit en lui l’homme qui peut la combler et lui faire découvrir la vie, mais son manque d’attention envers elle la force à devoir le ramener à la raison et à elle. Quand ils sont en pleine possession de leurs moyens, ils se retrouvent dans des situations de conflit, mais dans les moments difficiles, ils se retrouvent. Les moments de réel bonheur sont très brefs dans Phantom Thread, et c’est principalement dans le malheur que les personnages montrent leur vraie facette et leurs véritables sentiments. Tout le film s’articule autour de cette idée, celle d’une romance à la fois toxique et poétique, où tout est toujours nuancé, ou rien n’est blanc ni noir, où les éléments s’entrechoquent pour créer un équilibre.

La réalisation de Paul Thomas Anderson, toujours soignée, jouant sur les détails, et cette manière d’écrire, cherchant toujours à montrer ce qui est essentiel, bien que désagréable, confère à Phantom Thread une beauté inéluctable, livrant un discours plein de vérités qui font réfléchir. La superbe musique de Jonny Greenwood, qui a déjà collaboré avec le réalisateur, n’est d’ailleurs pas étrangère à ce climat, notamment avec le thème principal qui emprunte beaucoup à Claude Debussy, avec une mélodie belle et poétique, mais toujours empreinte de mélancolie. Evidemment, les acteurs ne font pas exception dans ce tableau incontestablement beau. Comme dans ses précédents films, Paul Thomas Anderson montre avec Phantom Thread que le monde a besoin d’un équilibre, que l’amour est une chose belle, mais qu’il se construit avant tout sur la base d’un vide commun, d’une déchirure, qui se ferme avec le temps, mais qui doit se rouvrir pour rendre aux sentiments toute leur puissance.


Note et avis

 

4/5

[star rating= « 4 » max= « 5 »]

Paul Thomas Anderson réalise encore un superbe film avec Phantom Thread. Une histoire d’amour toxique, pleine de violence, mais pourtant fondamentalement belle, empreinte de mélancolie, pleine de nuances, où il s’agit de montrer le malheur non pas comme une destruction à petit feu, mais comme un passage obligé et un catalyseur de sentiments.


Bande-annonce de Phantom Thread

Quentin Coray

Quentin, 29 ans, mordu de cinéma depuis le visionnage de Metropolis, qui fut à l'origine d'un véritable déclic. Toujours en quête de nouvelles découvertes pour élargir mes connaissances et ma vision du cinéma. "L'art existe et s'affirme là où il y a une soif insatiable pour le spirituel, l'idéal. Une soif qui rassemble tous les êtres humains." - Andreï Tarkovski

9 réflexions sur “Cinexpress #163 – Phantom Thread (2018)

  • J’avoue qu’après avoir vu la ba, le film ne me disait plus rien du tout…Du coup, j’attendrai plutôt qu’il sorte en DVD/VOD. Je reviendrai lire ta chronique ;)

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  • Pas simple, quand j’ai vu la bande-annonce pour la première fois ça ne me disait rien non plus mais quand j’ai vu Daniel Day Lewis et surtout Paul Thomas Anderson à la réalisation ça a changé la donne. Le visionnage préalable de ses autres films (entre autres There Will Be Blood, Magnolia et The Master) reste recommandé pour capter au mieux le message et le style de ce Phantom Thread. ;)

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  • Je l’ai enfin vu. J’ai d’ailleurs publié une note à ce sujet car je te rejoins, j’ai adoré (j’ai même mis 5 étoiles pour ma part, c’est te dire comme j’ai aimé l’interprétation de Daniel Day Lewis et le jeu de cette toute jeune actrice qui est très bien elle aussi. Je n’avais pas aimé « inherent vice ». Celui-ci me réconcilie avec Paul Thomas Anderson. J’avais adoré aussi « there will be blood » et « the master » :)

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  • Avec retard, comme à mon habitude dans mon monde du cinéma, je l’ai aussi enfin vu et fait un renvoi sur ton très bon article.
    Merci

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