Bios

A la rencontre de… David Wark Griffith (1875-1948)

Steven Spielberg, Martin Scorsese, Tim Burton, Fritz Lang, Alfred Hitchcock, Orson Welles, John Ford, Stanley Kubrick, Francis Ford Coppola, Robert Zemeckis… Tous ces noms sont ceux de réalisateurs qui ont sur marquer l’histoire du septième art à leur époque. Des frères Lumière, Alice Guy et Georges Méliès, à David Fincher, Christopher Nolan et Quentin Tarantino, nombre d’hommes et de femmes se sont succédé derrière les caméras pour raconter des histoires et les transposer sur grand écran. Mais il y en a un dont le nom a été oublié de beaucoup et qui a pourtant donné énormément au cinéma : David Wark Griffith. Je vous invite à prendre le temps de découvrir la riche histoire d’un réalisateur de légende au destin brisé, et de découvrir sa filmographie riche en références cinématographiques absolues (liens disponibles en fin d’article). Bonne lecture !

clapperboard

D.W. Griffith
D.W. Griffith

clapperboard

1875 – 1908 : La genèse d’un génie : D.W. Griffith

Comme nombre de génies de notre histoire, David Wark Griffith (généralement abrégé en D.W. Griffith) a eu une jeunesse relativement compliquée. Il est né en 1875 dans le Kentucky, sixième enfant d’une fratrie de sept, fils d’un ancien colonel des armées des Etats Confédérés lors de la guerre de Sécession. Le décès de ce dernier, alors que David n’a que 10 ans, plonge la famille dans la pauvreté, et il va cumuler nombre de petits boulots lors de son adolescence, notamment en tant que vendeur de journaux et employé d’une librairie. Le jeune David s’intéresse aux livres, mais également au théâtre, qu’il découvre en assistant à diverses représentations. Il se lance alors en joignant une troupe avec laquelle il joue sans jamais vraiment connaître le succès. Devant toujours cumuler les petits boulots pour subsister, David se met également à écrire des scénarios pour le cinéma, une industrie en pleine expansion. L’Edison Manufacturing Company lui donne sa première opportunité en 1908, mais en tant qu’acteur. Cependant, une société concurrente, l’American Mutoscope and Biograph Company voit en lui du potentiel et lui propose de réaliser leur prochain film : Les Aventures de Dollie. Un choix qu’ils ne regretteront pas.

D.W. Griffith (à droite)
D.W. Griffith (à droite)

1908 – 1914 : La révélation et la révolution de la narration au cinéma

Si, en soi, ce court-métrage n’est pas un classique, ce fut l’opportunité pour D.W. Griffith d’enfin pouvoir mettre à profit sa science et sa philosophie du cinéma. Alors que la plupart des films de l’époque se déroulaient dans un décor unique et comportaient très peu de scènes différentes, notre jeune réalisateur ne souhaitait pas suivre la tendance. Cinéphile, Griffith a pu décrypter les codes du cinéma, encore très influencés par la photographie, notamment à travers l’aspect statique des films de l’époque. Ce qu’il veut, c’est du mouvement. Egalement grand lecteur, notre jeune réalisateur a soigneusement analysé les techniques des écrivains pour comprendre la manière dont ils alternaient les situations, afin d’être à même de transposer ces techniques au cinéma. Au lieu de ne filmer qu’une scène se déroulant d’un point A à un point B, il veut raconter une histoire se déroulant dans plusieurs endroits et à des moments différents, faisant se déplacer ses personnages à travers le temps et l’espace, pour avoir un ensemble cohérent.

Billy Bitzer et D.W. Griffith en 1913
Billy Bitzer et D.W. Griffith en 1913

Grâce à cela, les réalisateurs peuvent raconter des histoires plus complexes, et c’est ce que Griffith veut. Avec Les Aventures de Dollie, Griffith frappe un grand coup et met en lumière une toute nouvelle façon de réaliser un film. Le réalisateur prend un soin particulier dans la succession de ses scènes pour intégrer une continuité implicite entre elles, que seul le spectateur peut imaginer. Le principe du film est simple : les scènes se succèdent, dans des décors et avec des personnages différents, mais pendant ce temps, dans le lieu qu’on vient de quitter, quelque chose d’autre se déroule, et on est susceptible d’y revenir ensuite : le montage alterné est né. Griffith importe donc l’influence de la narration romancée au cinéma pour lui donner une toute autre ampleur, et c’est une véritable machine qui est désormais lancée. Avec une cadence folle, le réalisateur dirige près de 500 films entre 1908 et 1913 ! Difficilement mais sûrement, Griffith montre son souhait de réaliser des films plus longs. En 1913, les longs-métrages commencent à faire leur apparition, une aubaine pour le réalisateur. Il veut alors réaliser des films plus longs, mais aussi plus coûteux. A une époque où il n’était pas rare de pouvoir réaliser un à deux films par semaine, c’est un gros manque à gagner en termes de productivité et de rentabilité. Ce choix de parcours lui vaudra d’être chassé de l’American Mutoscope and Biograph Company. Mais il rebondit rapidement, et trouve une autre société de production avec laquelle il va tourner plusieurs longs-métrages en 1913 et en 1914.

La Naissance d'une Nation (1914)
La Naissance d’une Nation (1915)

1915 : La Naissance d’une Nation

Il est difficile d’écrire un article sur D.W. Griffith sans faire un encart spécial à propos de La Naissance d’une Nation. Pourquoi ? Car la production et la sortie de ce film représentent un tournant majeur, tant dans la carrière du réalisateur, que dans l’histoire du cinéma américain, voire du cinéma en général. Griffith est né dans le Kentucky, réputé pour avoir été un État esclavagiste, et le réalisateur avait été éduqué dans un climat de méfiance envers les noir-américains. Griffith décide d’adapter le roman The Clansman (L’Homme du Klan) de Thomas Dixon, réputé pour être ouvertement raciste, et se base dessus pour réaliser une fresque dantesque sur un pan majeur de l’histoire des États-Unis. Je ne rentrerai pas ici en détail dans le débat concernant ce film (je vous invite à lire mon article à propos du film où je le développe). Griffith a apporté un soin tout particulier à restituer dans les moindres détails les composantes de l’histoire, réalisant une fresque historique majeure et colossale de plus de trois heures, avec un réalisme encore inédit, bien que tenant un propos très biaisé à l’égard des noir-américains. Avec ce film, Griffith propose un chef d’œuvre technique, et explose les records du box-office (lesquels ne seront battus que par Autant en emporte le vent, vingt-cinq ans après, un autre film sur la Guerre de Sécession), mais surtout, a entaché son image et lancé un véritable débat qui subsiste toujours, un siècle plus tard.

DW Griffith (à droite) sur le tournage d'A travers l'orage (1919)
DW Griffith (à droite) sur le tournage d’À travers l’orage (1919)

1916 – 1921 : Un anti-conformisme qui ne paya pas

Comme un écho direct au malaise généré par La Naissance d’une Nation, D.W. Griffith décide d’investir tout ce qu’il a gagné avec son précédent métrage pour réaliser son projet le plus pharaonique : Intolerance. C’est avant tout fasciné par les superproductions italiennes Quo Vadis ? d’Enrico Guazzoni en 1912 et Cabiria de Giovanni Pastrone en 1914, que le réalisateur se plonge dans ce projet pharaonique, qui ne devait au départ que raconter l’histoire d’une injustice à une époque où les tensions sociales étaient très fortes. Dans une nouvelle vaste fresque historique, le réalisateur montre l’intolérance à travers l’histoire, pendant quatre époques (la chute de Babylone, la trahison du Christ, le massacre de la Saint Barthélémy, et la condamnation à tort d’un homme au début du XXe siècle). Le réalisateur mène le projet de A à Z, costumes, décors, acteurs, musique, tout est fait pour qu’il s’agisse de son chef d’œuvre, comme une volonté de se racheter suite à son précédent film. Avec un budget de 1,75 millions de dollars (d’époque, ce qui équivaut à environ 40 millions aujourd’hui) et plus de 60 000 personnes (acteurs, ouvriers, techniciens) impliqués sur le tournage, il s’agit d’une des premières grandes superproductions hollywoodiennes, et probablement l’une des plus grandes de tous les temps. Ayant réussi à appliquer le montage alterné pour superposer différentes actions à travers le temps, il pense qu’il est aussi possible de le faire avec des histoires parallèles, en les alternant avec une rotation régulière.

Richard Barthelmess et Lillian Gish dans Le Lys Brisé (1919)
Richard Barthelmess et Lillian Gish dans Le Lys Brisé (1919)

Mais le film sera un échec. Bien que spectaculaire, gigantesque, et proposant une demi-heure remplie de suspense (avec un schéma très moderne), il est alors jugé trop confus, victime du tollé soulevé par La Naissance d’une Nation, et de la situation compliquée de Griffith, qui bataille pour produire son film. Celui-ci est un échec commercial, un gouffre financier qui plonge le réalisateur dans un déclin dont il ne se relèvera pas. S’il est rentré dans ses frais, les extravagances liées aux projections (orchestres, décors, etc.), en rajoutèrent d’autres qui finirent par le mettre en situation de déficit. Pourtant, le film sera salué par des réalisateurs légendaires tels qu’Orson Welles et Sergueï Eisenstein qui le prendront comme exemple dans leur carrière. Vint ensuite Cœurs du Monde, en 1918, terrible fresque sur la guerre, pleine de violence et d’ombre, mais divisa à son tour, continuant à alimenter l’image controversée du réalisateur. Griffith fonda la United Artists en 1919 avec Charlie Chaplin, Mary Pickford et Douglas Fairbanks, dans le but de préserver leur liberté artistique et de contrer les grands studios hollywoodiens. Il enchaîna en réalisant le Le Lys Brisé en 1919, mais le ton trop négatif du film pose une nouvelle fois problème, car ce n’était pas assez commercial au goût des producteurs. A Travers l’Orage, sorti en 1920, fut également touché par une double tragédie : les morts brutales de Clarince Seymour, pendant le tournage, et celle de son grand ami Robert Harron, qui provoqua une grande émotion au sein de la sphère cinématographique, et bouleversa à jamais le réalisateur. Vint ensuite Les Deux Orphelines en 1921. Tous ces films furent des succès critiques, portés par sa muse Lillian Gish, star absolue de l’époque, mais le réalisateur ne parvint jamais à rentrer dans ses frais, et surtout, ses films allaient toujours à l’encontre des standards de l’époque. Il ne renoua jamais avec la gloire.

D.W. Griffith
D.W. Griffith

1921 – 1948 : Dans l’oubli de ses contemporains, dans l’histoire du cinéma

Pendant les années 1920, il continuera à réaliser encore quelques films, jusqu’en 1931, où il mit un terme à sa carrière en tant que réalisateur. Le passage au parlant ne lui donna pas de nouvelles opportunités, et il ne fit que quelques exceptionnelles collaborations durant les années 1930. Le 23 juillet 1948, le réalisateur s’éteint, seul, dans l’indifférence totale, oublié de tous. Si le grand réalisateur connut une fin triste, nombre de légendes ne manquèrent pas de le considérer comme un monument du cinéma. Charlie Chaplin le surnommait « The Teacher of us All », et d’autres grands réalisateurs tels que John Ford, Alfred Hitchcock, Cecil B. DeMille, Jean Renoir, King Vidor, Stanley Kubrick ou encore Orson Welles ont tous témoigné leur profond respect envers D.W. Griffith. Welles dit d’ailleurs : « Je n’ai jamais vraiment détesté Hollywood, sauf pour son traitement à l’égard de D.W. Griffith. Aucune ville, aucune industrie, aucune profession, aucune forme d’art doit tant à un seul homme. » Légende parmi les légendes, le nom de D.W. Griffith est encore aujourd’hui très peu connu et entendu au sein de la culture populaire. Peut-être trop ancien pour être encore suffisamment visible et mis en avant, on ne peut nier l’héritage immense qu’a laissé David Wark Griffith au cinéma. Trop en avance sur son époque pour avoir tout le succès qu’il méritait, il a marqué le septième art d’une empreinte indélébile. Même si vous ne le connaissez pas, et même si vous ne vous en rendez pas compte, dès que vous regardez un film, l’influence de celui qu’on surnomme « l’inventeur d’Hollywood » est toujours présente quelque part.

« Remember how small the world was before I came along? I brought it all to life: I moved the whole world onto a 20-foot screen. »

« We do not want now and we never shall want the human voice with our films. Music — fine music — will always be the voice of the silent drama. »

Pour en savoir plus

Articles :

Critique et analyse de La Naissance d’une Nation (1915)

Critique et analyse d’Intolerance (1916)

Critique et analyse de Le Lys Brisé (1919)

Critique et analyse d’À Travers l’Orage (1920)

Vidéos :

Les Aventures de Dollie (1908) sur YouTube

La Naissance d’une Nation (1915) sur YouTube

Intolerance (1916) sur YouTube

Le Lys Brisé (1919) sur YouTube

A Travers l’Orage (1920) sur YouTube

Les Deux Orphelines (1921) sur YouTube

D.W. Griffith : Father of Film (Documentaire) : Partie 1

D.W. Griffith : Father of Film (Documentaire) : Partie 2

Quentin Coray

Quentin, 29 ans, mordu de cinéma depuis le visionnage de Metropolis, qui fut à l'origine d'un véritable déclic. Toujours en quête de nouvelles découvertes pour élargir mes connaissances et ma vision du cinéma. "L'art existe et s'affirme là où il y a une soif insatiable pour le spirituel, l'idéal. Une soif qui rassemble tous les êtres humains." - Andreï Tarkovski

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.