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A la redécouverte de… Blade Runner (1982)

Il faut vivre soit dans une grotte, soit sur une île déserte pour ne pas savoir que Blade Runner 2049 sort ce mercredi. S’il s’agit du tant attendu prochain film de Denis Villeneuve, réalisateur plus qu’en vogue par les temps qui courent, c’est surtout la suite de l’un des films de science-fiction les plus adulés, un film devenu culte et considéré comme une référence du septième art par bon nombre de cinéphiles. Blade Runner, premier du nom, ne m’était pas inconnu, car je l’avais déjà vu il y a quelques années. Mais après être resté sur ma faim, et observant les louanges dont on fait preuve à son égard, je m’étais toujours promis de lui donner une seconde chance. Alors, voyant la date fatidique du 4 octobre approcher, j’ai pris le taureau par les cornes, et fait un saut en 2019 pour préparer ma prochaine séance, mais aussi redécouvrir ce classique.

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Affiche de Blade Runner (1982)
Affiche de Blade Runner (1982)
  • Genre : Policier, Science-fiction, Thriller
  • Réalisateur : Ridley Scott
  • Année de sortie : 1982
  • Casting : Harrison Ford, Rutger Hauer, Sean Young, Daryl Hannah
  • Synopsis : Pendant la conquête de l’espace, Deckard est un « blade runner » : un policier chargé de tuer les androïdes ou « réplicants » hors-la-loi. (senscritique.com)

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Harrison Ford dans Blade Runner (1982)
Harrison Ford dans Blade Runner (1982)

Le film : Blade Runner, entre mélange des genres et film d’anticipation hypnotique

Ridley Scott, ce sont plusieurs coups d’éclats dans une carrière en dents de scie. Celui qui fut autrefois adulé semble aujourd’hui voir son aura abîmée par des dernières réalisations souvent critiquées. En 1982, le cinéaste est encore au début de sa carrière, mais pourtant, il n’en est pas à son coup d’essai. Après Les Duellistes (1977), un bon film historique aux faux-airs de Barry Lyndon, Ridley Scott avait enchaîné avec une pièce maîtresse du space opera et de l’horreur, Alien, en 1979. C’est en décidant d’adapter une nouvelle de Philip K. Dick, intitulée Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, que Ridley Scott réalisa Blade Runner. Véritable ratage au box-office à l’époque, il a su, au fil du temps, se tailler une réputation de film culte, et après un second visionnage, je comprends mieux pourquoi.

Si Blade Runner est surtout et avant tout un film de science-fiction, il empreinte à plusieurs genres, en se muant en film policier, ou en invoquant de nombreuses références aux films noirs des années 40. Lent, sombre, mélancolique et viscéral, c’est un film qui n’est pas des plus simples à aborder, mais qui n’en est pas moins captivant et saisissant. Les premiers plans en extérieur permettent de donner au spectateur une vraie claque visuelle avec des décors et des effets visuels qui n’ont guère à envier aux films d’aujourd’hui. Accompagné de la musique de Vangelis, Blade Runner nous plonge dans une ambiance urbaine futuriste à la fois magique et glauque. Les grands bâtiments gris se dressent dans un ciel obscur, le monde est étouffé au milieu de ces immenses structures, dans un style rappelant sans aucun doute le Metropolis de Fritz Lang. Et si cette paternité trouve écho dans ces choix esthétiques, ici réactualisés par Ridley Scott, elle se retrouve également dans la manière dont est conçue la société en général.

Blade Runner (1982)
Blade Runner (1982)

A l’échelle de la ville : de Fritz Lang à Ridley Scott, une vision dystopique du futur

Car, au-delà être une superbe expérience visuelle, Blade Runner est un film aux messages sociologiques et philosophiques forts. En effet, s’il s’agit d’un film d’anticipation, c’est qu’il s’appuie sur une vision du monde d’aujourd’hui pour la projeter dans un futur où certains de ses traits sont exacerbés. L’urbanisation est ici un vrai fléau, les villes immenses étouffent leur population dans des ruelles sombres éclairées aux néons, sous une pluie battante qui n’a de cesse de tomber. Dans ce Los Angeles futuriste, les humains sont transformés en de petites fourmis, grouillant à leur échelle, et totalement invisibles du haut des immenses gratte-ciels qui les surplombent. Projection d’un monde futur où l’humain est soustrait au monde dans lequel il vit, Blade Runner fait une nouvelle fois écho à Metropolis et trouve des points de similitude avec Koyaanisqatsi.

Sans en faire son cheval de bataille, Ridley Scott décide d’inscrire son film dans un contexte et un univers où le capitalisme et l’incitation à la consommation sont omniprésents. Les gratte-ciels s’ornent d’immenses affichages publicitaires, des sortes de dirigeables futuristes transmettent sans cesse des messages publicitaires incitant la population à quitter la Terre, et Tyrell, grand entrepreneur et homme d’affaires, dirige sa société depuis une immense tour pyramidale qui surplombe la ville. Encore une fois, ces composantes font directement référence au Metropolis de Fritz Lang, avec les affichages du quartier de Yoshiwara, les grands affichages, et l’immense tour de Joh Fredersen, le maire de la ville du film de 1927. Les visions de Fritz Lang et Ridley Scott se répondent et s’associent pour donner à ce monde futur l’image d’un monde fatigué et rongé par ses excès.

Sean Young dans Blade Runner (1982)
Sean Young dans Blade Runner (1982)

A l’échelle de la société : Les Réplicants, révélateurs d’une nature humaine perdue

Une fois quitté les airs et les grands gratte-ciels, nous descendons dans les bas-fonds de la ville, où les humains se côtoient et existent plus qu’ils ne partagent et ne vivent. Les personnages de Blade Runner sont tous prisonniers de leur existence, agissant de manière rationnelle avant tout, mais ne manifestant pas d’émotions. Pendant ce temps, la Tyrell Corporation a créé les Réplicants, des êtres synthétiques dont le but est d’effectuer des tâches dangereuses et difficiles. Mais certains d’entre eux, plus perfectionnés, peuvent quasiment être confondus avec des humains. Dotés d’émotions et d’attributs qui leur ont été « injectés », ce sont des personnages pourchassés, et des pièces maîtresses dans l’oeuvre sociologique et philosophique qu’est Blade Runner.

Leur faculté à être indépendants, à penser par eux-mêmes, et donc, à être tentés d’agir différemment de celle qui est attendue d’eux, est considérée comme un danger à éradiquer, dans une triste ironie où la société terne et grise, exsangue, punit ceux qui aspirent à la liberté et à l’épanouissement. Plus humains même que les humains qui les ont créé, les Réplicants Nexus-6 sont les témoins d’une nature humaine détruite par le matérialisme et l’urbanisation qui, malgré eux, génèrent une sorte de prise de conscience, notamment chez Deckard.

Rutger Hauer dans Blade Runner (1982)
Rutger Hauer dans Blade Runner (1982)

A l’échelle de Deckard : Ambiguïté, lueur d’espoir et mythologie

Le personnage de Deckard représente le chaînon manquant entre les humains et les Réplicants. Celui qui est malgré lui un outil du système et qui agit sous sa solde n’est pourtant pas dénué d’émotions, comme le montre son attitude envers Rachel, son effroi après avoir tué Zohra, ou le mélange de terreur, de soulagement et de tristesse qu’il manifeste après la mort de Roy. Cela en fait un personnage très ambigu dont il est difficile de cerner la vraie nature, mais dont celle-ci trouve davantage de sens à la fin du film. Le monologue final de Roy Batty, magnifiquement mis en scène, relève à la fois d’une volonté de faire prendre conscience ( « j’ai vu des choses que vous ne pourriez croire » ) ainsi que d’une sorte de passage de témoin, dans le but de tenter de préserver une dernière lueur d’humanité dans un monde perdu.

Car Blade Runner est également influencé par la mythologie et semble même piocher quelques références et allusions divers récits issus de texte religieux. L’action, qui se déroule sous une pluie perpétuelle et battante, se situe dans ce que l’on pourrait apparenter à un Déluge, une pluie destructrice qui laisse également présager un futur renouvellement. Les Réplicants, et notamment Roy, font figure de messagers, qui s’adressent finalement à Deckard, supposé être leur bourreau, et qui s’avère finalement être le seul à sembler pouvoir les comprendre. Roy devient alors une sorte de Prométhée apportant un savoir crucial à l’humanité, et en sacrifiant sa propre vie en transmettant un ultime message à Deckard, dont il a compris qu’il était digne de le recevoir. Isolé dans ce vaste purgatoire, Deckard devient alors le porteur du message, et le dernier espoir vers un renouveau dans l’humanité.

Harrison Ford dans Blade Runner (1982)
Harrison Ford dans Blade Runner (1982)

Conclusion : Une oeuvre majeure de la science-fiction, profonde et exigeante

Je m’étais toujours juré d’offrir une seconde chance à Blade Runner. D’abord car je constatais un grand écart entre mon avis et l’opinion globale, et ensuite car je savais que j’avais manqué ou mal compris des choses en première instance. Cela fut confirmé avec ce second visionnage qui ouvrit de nombreuses portes et me fit comprendre, au moins en partie, tous les enjeux de Blade Runner. C’est un film difficile à regarder et à suivre, de par sa lenteur éprouvante, et par son aptitude à ne pas faire des messages qu’il veut transmettre une évidence.

Il pourra toujours rester un clivage dans les opinions par rapport à la manière dont chacun aborde et perçoit le film, et sur ce point, je reste à convaincre totalement, bien que j’aie déjà revu en grande partie ma copie. Mais, dans l’absolu, il est indubitable que Blade Runner s’affiche comme une oeuvre révolutionnaire, complexe, qui parvient à se hisser parmi les œuvres majeures de la science-fiction. Ce n’est en aucun cas le film que l’on voit une fois et que l’on oublie. C’est un film qui nécessite et mérite d’être vu à plusieurs reprises pour être capable de cerner ses problématiques, qui nous concernent d’ailleurs directement. Maintenant, il ne reste plus qu’à attendre et découvrir sa suite, Blade Runner 2049, et espérer une oeuvre au moins dans la lignée de son prédécesseur. Ah, et Deckard est-il un Réplicant ? La plupart des éléments tendent à le montrer, mais l’ambiguïté demeure, bien que Ridley Scott semble avoir coupé l’herbe sous le pied de tout le monde.

Bande-annonce de Blade Runner

Quentin Coray

Quentin, 29 ans, mordu de cinéma depuis le visionnage de Metropolis, qui fut à l'origine d'un véritable déclic. Toujours en quête de nouvelles découvertes pour élargir mes connaissances et ma vision du cinéma. "L'art existe et s'affirme là où il y a une soif insatiable pour le spirituel, l'idéal. Une soif qui rassemble tous les êtres humains." - Andreï Tarkovski

5 réflexions sur “A la redécouverte de… Blade Runner (1982)

  • Porfirio

    Le texte de K.Dick n’est pas une nouvelle mais « a novel », soit un roman. C’est d’ailleurs là que le bât blesse car le film a largement trahi l’œuvre, certes un peu trop confuse, pour la rendre plus comestible.
    Il est vrai qu’une cantatrice interprétant John Dowland présente moins d’attrait qu’une strip-teaseuse parée d’un python et que Harrison Ford est plus viril qu’un remplaçant payant son mouton électrique par traites (d’où l’autre titre du roman: les androïdes rêvent-ils de moutons électriques?).
    L’univers psychologique du roman fut aussi délaissé par Scott et beaucoup mieux rendu par le remake. Car Dick est le romancier du solipsisme psychotique. Il est tout de même dommage de voir une telle œuvre éclipsée par son adaptation, même si cela fait un bon film-culte.
    Mais qui lit encore des romans, de nos jours?

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    • Petit abus de langage en effet, ce faux-ami anglais est bien souvent trompeur, merci d’avoir relevé cet élément.
      N’ayant pas de recul sur l’oeuvre de Philip K. Dick je ne pourrai pas contredire les arguments exposés. Je pense en tout cas que Scott s’en est servi de base pour créer une oeuvre à part entière qui suit ses propres codes. Cela n’empêche pas la comparaison mais permet, à mon avis, de la relativiser un peu.

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  • Hypnotisant, c’est le mot approprié, oui. Sa lenteur horripile autant qu’elle interpelle, je trouve. J’ai découvert le roman à l’origine du film cette année et, effectivement, j’ai eu la sensation de me retrouver devant deux œuvres complètement à part (mais toutes les deux aussi riches l’une que l’autre). Le roman m’a laissée un peu perplexe par son style extrêmement froid, lacunaire et descriptif, comme si Deckard était « dépersonnalisé » de lui-même (outre le fait qu’il « retire » les androïdes avec une facilité déconcertante, ce qui m’a un peu perdue vu qu’on les présente comme particulièrement difficiles à arrêter et tromper). J’aurais du mal à mettre en perspective les deux œuvres, si un jour vous envisagez de lire le texte original et d’en faire un billet en y incluant vos impressions des deux films, je suis curieuse :)

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    • Je suis malheureusement un piètre lecteur et n’ai pas encore pris le temps ni eu l’occasion de lire le livre de Philip K Dick ^^ Mais si un jour je m’y mets, je le ferai volontiers, c’est toujours un bon point pour améliorer notre connaissance d’une oeuvre et d’avoir plus de contexte pour la comprendre. Merci ! :)

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  • Ce film, Blade Runner, est vraiment très particulier pour moi. Pour est-il culte ? Peut-être parce qu’il reflète des enjeux actuels fondamentaux. D’un côté, il y a cet « univers où le capitalisme et l’incitation à la consommation sont omniprésents » comme vous dites. De l’autre, il y a ces humains en total perdition, le « Réplicant » étant à la fois la symbolique de la déshumanisation – c’est un « être » artificiel – et de l’illusion complète que représente le progrès technique : faire des Réplicants, miracle de la technologie, le réceptacle des interrogations humaines sur le sens de la vie symbolise l’impasse dans laquelle s’est engagée l’humanité depuis 10 000 ans, une quête sans fin pour construire un monde artificiel de plus en plus sophistiqué et complexe, mais qui ne répond en rien aux attentes réelles du coeur humain. Bref, Blade Runner est un film central parce qu’il témoigne de la faiblesse profonde de notre civilisation : l’appétit féroce pour le matériel fait de nous des êtres sans épaisseur, sans vie, plongés dans mille artifices qui n’ont rien à voir avec notre vraie nature. Les Réplicants, c’est nous.
    A noter : la « pluie perpétuelle et battante » du film pourrait bien être une intuition géniale, à rapprocher avec les dérèglements climatiques qui devraient devenir monnaie commune dans les décennies à venir. Le réchauffement climatique est désormais inéluctable, le CO2 envoyé dans l’atmosphère ne pouvant disparaître avant longtemps même si nous devions réduire nos émissions tout de suite drastiquement, ce que nous ne ferons de toutes façons pas. Il y aura donc de profondes modifications du climat…

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