CritiquesAnnées 1970 - 1990

A la rencontre de… Le Coureur (1985)

A notre époque, il semble bien difficile, en dehors des festivals et des cinémas d’arts et essais, de découvrir des films issus de cinémas autres que les cinémas français et américain. Question de distribution ou d’attrait du public, on ne peut aisément constater un véritable cosmopolitisme dans les programmations des cinémas. Aujourd’hui, je vous invite à voyager en Iran. Un voyage tout à fait fortuit, car je ne comptais pas spécialement encore m’atteler à la découverte du cinéma iranien. Mais la réception d’une invitation à la séance d’ouverture de la rétrospective « Amir Naderi et le cinéma moderne iranien » au Centre Pompidou m’a ouvert les portes d’un cinéma aux trésors cachés et, bien souvent, oubliés, comme Le Coureur.


Fiche du film

Affiche du Coureur (1985)
Affiche du Coureur (1985)
  • Genre : Drame
  • Réalisateur : Amir Naderi
  • Année de sortie : 1985
  • Casting : Madjid Niroumand, Moussa Tourkiradeh
  • Synopsis : Amiro, enfant seul vivant sur les bords du Golfe persique, a très vite appris à survivre. Il veut réussir et sait qu’il doit lutter et surtout courir, courir et encore courir. Pour lui, deux sortes de courses, l’une qui lui sert à gagner sa vie, et l’autre, spirituelle, à se former. Peu à peu, courir devient une raison de vivre. (senscritique.com)

Critique et Analyse

Le Coureur (1985)
Le Coureur (1985) © Splendor Films

Amir Naderi est l’un des chefs de file du cinéma iranien de ces dernières décennies. L’homme, passionné, fantasque et éperdument amoureux du cinéma, a, au fil des années, acquis une véritable expérience de la vie à travers de nombreuses épreuves. Et si la célébrité et le profit lui ont toujours échappé, il est demeuré fidèle à ses convictions et au septième art. Très attaché à son pays natal, l’Iran, il eut l’occasion d’y tourner à diverses reprises, ainsi qu’à l’étranger, devant faire face à la censure du pouvoir politique iranien et voyageant notamment aux Etats-Unis, en Italie et au Japon. Le Coureur est considéré comme un de ses films les plus emblématiques, à l’influence majeure et aux nombreuses qualités.

« L’un des principaux messages du Coureur consiste à montrer que l’Homme a une aspiration naturelle pour la liberté, qu’il ne peut se contenter d’être menotté de vivre heureux de la sorte. »

Alors que l’Iran est en conflit avec l’Irak, Amir Naderi met en scène un enfant, Amiro, vivant pauvrement dans une ville côtière. Sans famille, il n’a de compagnie qu’un groupe d’amis faisant également face à la pauvreté. Amiro passe souvent son temps à héler les immenses cargos qui circulent dans le golfe et dont les immenses silhouettes évoquent la promesse d’un départ vers l’inconnu, d’une liberté espérée. La présence régulière à l’écran de moyens de transports et de véhicule (bateaux, voitures, avions, trains) évoque justement cette envie de mobilité. Car l’un des principaux messages du Coureur consiste à montrer que l’Homme a une aspiration naturelle pour la liberté, qu’il ne peut se contenter d’être menotté de vivre heureux de la sorte.

Le Coureur (1985)
Le Coureur (1985) © Splendor Films

Pourtant, il ne s’agit pas toujours d’un choix qui nous est offert. C’est aussi et surtout quelque chose qui dépend du contexte dans lequel on vit, et des moyens que l’on se donne pour atteindre ses objectifs. Le Coureur est une ode à la persévérance, couplée à un sombre tableau d’un pays meurtri par la révolution et la guerre. Amiro, comme le titre du film l’indique, court, et crie après les bateaux et les avions, et après cette liberté dont il entretient l’espoir d’enfin l’atteindre. Souvent filmé en utilisant des travellings circulaires, Amiro semble embarqué dans une course infinie, dans des séquences mêlant rêve et désespoir.

« Cette enfance devant faire face à l’adversité dans un contexte de guerre et ce style très brut, parfois presque documentaire, s’inspirent visiblement du néoréalisme italien des années 40, et notamment d’Allemagne, Année Zéro de Roberto Rossellini. »

Le choix d’un enfant en tant que protagoniste s’avère somme toute logique et tout à fait approprié vis-à-vis du contexte dans lequel se développe le film. L’innocence et la fraîcheur de l’enfant, développant son expérience de la vie, contraste avec l’aridité du climat et l’aspect impitoyable d’une société où règne la loi du plus fort. Cette enfance devant faire face à l’adversité dans un contexte de guerre et ce style très brut, parfois presque documentaire, s’inspirent visiblement du néoréalisme italien des années 40, et notamment d’Allemagne, Année Zéro de Roberto Rossellini.

Madjid Niroumand dans Le Coureur (1985)
Madjid Niroumand dans Le Coureur (1985) © Splendor Films

Ce climat de guerre, souvent filmé dans une lumière crépusculaire dorée, revêt des aspects parfois post-apocalyptiques, invitant à un retour aux sources, une reconstruction, et à une communion avec la nature. L’enfant regarde la mer, récite l’alphabet persan dans les remous provoqués par les vagues, il fait une course pour récupérer un pain de glace posé près de puits de pétrole d’où jaillissent d’immenses flammes. Les éléments de la nature se succèdent, se croisent et se mélangent pour créer un ensemble originel, créateur et destructeur. Finalement, Amir Naderi nous décrit un pays où la civilisation s’est perdue, aux repères transformés par la révolution, et à l’équilibre fragilisé par la guerre avec le voisin irakien. C’est donc, dans cette atmosphère primale et hostile, l’alphabet, la maîtrise du langage et l’instruction, qui donneront à Amiro la clé pour la liberté, et le retour à la civilisation.

Le Coureur est, en définitive, un film que l’on pourrait associer à un mouvement qualifiable en tant que « néoréalisme iranien », récit de malheurs et d’espoirs, où tout semble perdu, mais où la flamme entretenue par un enfant à la combativité inexpugnable montre la ténacité de l’Homme et que, même lors des heures les plus sombres, il n’y a pas de réelle fatalité. La caméra d’Amir Naderi se déplace avec fluidité dans ce tableau riche et poussiéreux, restituant avec fidélité des moments du quotidien, et offrant des moments de grâce, presque oniriques. On y trouvera du Rossellini, parfois du Kurosawa, mais surtout une vraie maîtrise et une véritable passion, dans un film mêlant enthousiasme et mélancolie, chant pour un paradis perdu, et terreau pour un espoir inébranlable.


Note et avis

4/5

Amir Naderi nous conte ici l’enfance dans un récit aux allures d’autobiographie, confrontant les aspirations naturelles de l’humain aux épreuves de la vie et du monde, dressant un tableau triste, poétique et mélancolique de son pays natal, sans jamais toutefois éteindre la flamme d’enthousiasme qui subsiste. Un film aux inspirations néoréalistes, proche du quotidien, et parsemé d’envolées lyriques presque oniriques, où le cinéaste montre tout son talent.


Avec Madjid Niroumand (acteur principal, au milieu) et Amir Naderi (réalisateur, à droite) après la séance
Avec Madjid Niroumand (acteur principal, au milieu) et Amir Naderi (réalisateur, à droite) après la séance

Lien pratique : Rétrospective « Amir Naderi et le cinéma iranien » sur le site du Centre Pompidou

Quentin Coray

Quentin, 29 ans, mordu de cinéma depuis le visionnage de Metropolis, qui fut à l'origine d'un véritable déclic. Toujours en quête de nouvelles découvertes pour élargir mes connaissances et ma vision du cinéma. "L'art existe et s'affirme là où il y a une soif insatiable pour le spirituel, l'idéal. Une soif qui rassemble tous les êtres humains." - Andreï Tarkovski

2 réflexions sur “A la rencontre de… Le Coureur (1985)

  • Pour ma part, j’ai découvert ce film lors de l’édition 2017 du festival Lumière. Voici ma notule d’alors :
    « La narration du Coureur est exigeante et très (trop ?) métaphorique. En mettant en scène son jeune protagoniste dans divers petits boulots mal rémunérés et en le déplaçant de rues en terrains vagues, Amir Naderi confère à son film un aspect programmatique. Le port ouvert sur la mer, les bateaux prenant le large, les trains et l’aérodrome sont autant d’invitations à un ailleurs moins miséreux pour Amiro, jeune orphelin. L’espoir d’un départ pour un autre pays est figuré par les marins et les touristes se faisant cirer les chaussures contre quelques pièces. La clé d’un possible départ réside dans l’alphabétisation de notre jeune héros. Un alphabet qu’il faudra répéter à haute voix et le crier peut-être. Sans cet apprentissage et sans combattre âprement l’adversité de chaque instant, le doux espoir d’Amiro pourrait fondre comme un pain de glace… »
    Quelques mots également sur l’avant-séance sur la page dédiée au festival Lumière 2017 : https://incineveritasblog.wordpress.com/festivals/lumiere/lumiere2017/

    Répondre
    • J’avais en effet lu l’article ;) C’est un film très allégorique et également partiellement autobiographique. Je ne ferais que paraphraser l’article en poursuivant, je suis peut-être plus généreux car pour moi c’est un film intéressant à voir, à mes yeux.

      Répondre

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.