La Vie et rien d’autre (Bertrand Tavernier, 1989) – Critique & Analyse
Sur les ruines encore fumantes d’une France dévastée par quatre ans de guerre, le peuple s’active pour refermer les cicatrices. Tous ne sont pas encore rentrés à la maison, certains tentent de retrouver leur vie d’avant, d’autres sont changés à jamais, et d’autres remplissent les cimetières, certains dans l’anonymat, voire dans l’oubli. Alors que la Mort a imposé sa terreur durant des années, il faut se résoudre à vivre de nouveau, seule compte la Vie et rien d’autre.
Fiche du film
- Genre : Drame, Guerre
- Réalisateur : Bertrand Tavernier
- Année de sortie : 1989
- Casting : Philippe Noiret, Sabine Azéma, Pascale Vignal
- Synopsis : 1920. La Première Guerre mondiale est achevée depuis deux ans. La France panse ses plaies et se remet au travail. Dans ce climat, deux jeunes femmes d’origines sociales très différentes poursuivent le même but : retrouver l’homme qu’elles aiment et qui a disparu dans la tourmente. Leur enquête les conduit à la même source d’information : le commandant Dellaplane. Du 6 au 10 novembre 1920, Irene, Alice, le commandant se croisent, s’affrontent et finalement apprennent à se connaître… (senscritique.com)
Critique et Analyse
Le besoin de faire le deuil, la crainte mêlée à la nécessité irrépressible de savoir ce qu’il est advenu d’un frère, d’un fiancé, d’un mari. Alors que la guerre vient à peine de s’achever, que des milliers de soldats remplissent encore un nombre incalculable de wagons, il faut honorer la mémoire de ces innombrables sacrifices. Mais comment ? C’est, entre autres, sur le devoir de mémoire et sa notion toute relative que vient s’exprimer Bertrand Tavernier dans La Vie et rien d’autre. Alors que les cérémonies du 11 novembre se déroulaient en grande pompe il y a une semaine pour commémorer le centenaire de l’armistice, il est intéressant de voir comment, au lendemain de la guerre, les instances militaires et politiques se sont mobilisées pour tourner la page, sans oublier de la marquer de manière indélébile.
« La Vie et rien d’autre vient montrer l’horreur d’une guerre dont les stigmates ne disparaîtront jamais, et que les hautes instances de l’armée et de l’Etat peinent à assumer, cherchant à faire table rase du passé, quitte à oublier nombre de deux qui se sont sacrifiés en leur nom. »
Baignant dans une atmosphère grisâtre et automnale, La Vie et rien d’autre indique bien que les temps sont durs, que le monde a vécu une catastrophe, et que si les combats ont cessé, rien n’est vraiment terminé. La reconstruction passe bien par celle des bâtiments, mais aussi par celle du souvenir des milliers de défunts laissés sur le champ de bataille, enfouis ou enterrés sans moindre indication quant à leur identité. Le commandant Dellaplane (Philippe Noiret) est de ceux qui œuvrent ardemment à l’identification de tous ces hommes rayés de l’Histoire par la guerre, considérés comme morts, jamais réclamés. Un travail de fourmi, long, ingrat et pénible, qui s’oppose à la vision des institutions militaires et politiques, cherchant davantage à commémorer de manière solennelle, de rendre un hommage général, pour cesser de se morfondre et reléguer définitivement la guerre au passé. La Vie et rien d’autre vient montrer l’horreur d’une guerre dont les stigmates ne disparaîtront jamais, et que les hautes instances de l’armée et de l’Etat peinent à assumer, cherchant à faire table rase du passé, quitte à oublier nombre de deux qui se sont sacrifiés en leur nom.
Ce qui est surtout assez remarquable avec La Vie et rien d’autre, s’est sa capacité à manifester la présence de la guerre, à faire ressentir le poids des sacrifices, à imaginer un sol rempli de cadavres, comme un Enfer où des millions d’âmes cherchent encore leur destination. Par l’opposition manifeste entre Irène et Alice quant à leur niveau social, contrecarrée par leur volonté commune de retrouver un être cher perdu pendant la guerre, le film montre qu’elle n’épargne personne, qu’elle hante les vivants, quels qu’ils soient et d’où ils viennent. Mais, ce que l’on ressent surtout, c’est ce sentiment de solitude qui entoure les survivants, à travers leur histoire, mais aussi ces plans larges sur une plage déserte, dans la campagne, dans une usine désaffectée aux immenses machines… Ils portent tous en eux un deuil qui les suit et les isole, les obligeant à errer pour enfin reprendre le cours de leur vie.
Saisissant tableau d’un monde tiraillé entre la volonté d’honorer la mémoire des morts et de faire table rase, La Vie et rien d’autre est plein de mélancolie, de brutalité, de tristesse et d’humanité. Abordant une époque plus récemment traitée par le roman de Pierre Lemaître, Au revoir là-haut, adapté au cinéma par Albert Dupontel, il expose toute la sottise et l’absurdité d’une guerre, qui se manifestent jusqu’à l’injuste traitement accordé à la mémoire des défunts par les hautes instances militaires et politiques. Porté par ses acteurs qui excellent tous dans leur registre, et par la mise en scène précise et efficace de Bertrand Tavernier, La Vie et rien d’autre ne figure pas parmi les classiques du cinéma français pour rien, et nous fait prendre du recul sur notre manière de nous remémorer au souvenir de ces millions d’hommes sacrifiés, voilà plus d’un siècle. « Un monument ! » disent-ils sur l’affiche, peut-être comme pour avouer que ce monument-ci rend bien mieux hommage à tous ces hommes que les nombreux monuments érigés après la guerre…
Note et avis
4/5
Brumeux, mélancolique, La Vie et rien d’autre expose la difficile récupération d’un pays après une guerre cataclysmique, entre la nécessité de rendre hommage à tous les sacrifiés, et la volonté d’un pays de tenter de tourner la page.