La Nuit du 12 (Dominik Moll, 2022) – Critique & Analyse
Trois ans après Seules les bêtes, Dominik Moll revient avec La Nuit du 12, un succès critique qui a marqué cette année cinématographique. Un succès bien mérité.
Fiche du film
- Genre : Drame, Policier
- Réalisateur(s) : Dominik Moll
- Distribution : Bastien Bouillon, Bouli Lanners, Théo Cholbi, Johann Dion
- Année de sortie : 2022
- Synopsis : À la PJ chaque enquêteur tombe un jour ou l’autre sur un crime qu’il n’arrive pas à résoudre et qui le hante. Pour Yohan c’est le meurtre de Clara. Les interrogatoires se succèdent, les suspects ne manquent pas, et les doutes de Yohan ne cessent de grandir. Une seule chose est certaine, le crime a eu lieu la nuit du 12. (SensCritique)
Critique et Analyse
Le film s’ouvre sur un premier parti pris : désamorcer toute attente potentielle chez le spectateur. Via un bref carton d’introduction accompagné de la voix de Bastien Bouillon, qui campe le personnage principal du film, on apprend qu’une importante partie des affaires traitées par la police judiciaire demeurent non élucidées, et que celle que nous allons suivre en fait partie. Ainsi, le décor n’est même pas planté que tout espoir de résolution nous est déjà interdit. Reste alors à découvrir ce que le film va nous raconter. Un homme faisant du cyclisme sur piste la nuit, un joyeux départ à la retraite accompagné d’un passage de témoin, puis l’horreur d’un crime nocturne qui s’abat sur une jeune fille. Les éléments se mettent ainsi en place, nous invitant à prendre part à l’enquête qui va chercher à comprendre ce qui s’est passé la fameuse nuit du 12.
« Toujours dans la sobriété et le naturel, la mise en scène et le jeu des acteurs de La Nuit du 12 confère au film une réelle authenticité, essentielle dans notre capacité à croire en ce que nous voyons, et à ancrer tout cela dans la réalité. »
Le spectateur va rapidement ressentir ici la volonté d’aborder une approche quasiment documentaire. Quand la caméra se pose devant les personnages, elle observe, on assiste à l’action, sans jamais qu’on ressente réellement qu’il s’agisse d’une mise en scène. Toujours dans la sobriété et le naturel, la mise en scène et le jeu des acteurs de La Nuit du 12 confère au film une réelle authenticité, essentielle dans notre capacité à croire en ce que nous voyons, et à ancrer tout cela dans la réalité. L’annonce de la terrible nouvelle aux parents de la victime, les interrogatoires, les planques, les discussions entre collègues ou entre inspecteur et juge, tout cela nous permet d’assister à une réalité du quotidien qui nous échappe d’ordinaire.
Cependant, le sujet principal de La Nuit du 12 n’est pas la retranscription du quotidien d’une unité de la PJ, mais bien celle d’un point de vue sur notre société à travers le prisme de cette enquête. Car ce qui motive les personnages principaux du film, c’est de savoir qui a tué Clara, et pourquoi. Et c’est ce qui motive également le spectateur, même s’il sait déjà qu’il n’obtiendra pas satisfaction à ce niveau. Les interrogatoires successifs vont permettre d’étoffer le portrait de la jeune fille, notamment au travers de regards d’hommes qu’elle a côtoyés. La posture adoptée par Yohan, le personnage principal, est celle d’un observateur. Avec le plus de neutralité possible, il recueille et analyse les faits. Néanmoins, les discours tenus par les interrogés tendent à mener le spectateur à se demander comment cette jeune fille a pu accumuler autant de conquêtes, notamment en s’intégrant dans des relations extra-conjugales. On viendrait presque à remettre en question son intégrité, pour se heurter à l’un des propos principaux du film : tout est une question de points de vue, notamment dans cette enquête menée par des hommes, avançant grâce à des mots d’hommes, analysés à travers des regards d’hommes. Ainsi, dans une volonté d’attribuer la culpabilité là où nous savons déjà qu’elle n’a pas de visage, il nous faut faire la part des choses pour trouver, dans cette enquête, une forme de résolution.
En effet, au début du film, un homme asperge la jeune fille d’alcool pour la brûler vive, mais cet homme sans visage, n’est-il finalement pas une simple allégorie ? Clara n’était-elle pas la victime d’un crime commis par plusieurs personnes, sur la durée ? Une part de réponse se trouve probablement là, dans ce constat généralisé sur une société hantée par la violence, désabusée, dans l’impasse. Nous pourrions reprocher au film de pêcher au niveau de la subtilité, notamment à travers la symbolique du cycliste sur piste, et quelques lignes de dialogue très explicites, qui donnent certes des clés de compréhension, et peuvent toujours paraître judicieuses, mais qui jurent avec la sobriété ambiante du film, capable de faire ressentir au spectateur ce qu’il doit ressentir. Il va sans dire que La Nuit du 12 impressionne par sa justesse, notamment au niveau du jeu d’acteurs (Bastien Bouillon en tête), qui font que l’on y croit et que l’on s’investit pleinement dans ce film qui nous happe sans nous lâcher.