A la rencontre de… La fureur de vivre (1955)
Même si vous n’avez jamais vu ce film, il y a fort à parier que ce nom vous soit familier. La fureur de vivre est le premier des trois films mettant en vedette James Dean, l’acteur emblématique à la carrière éphémère et au destin tragique. Au beau milieu des années 1950, Nicholas Ray décide de porter à l’écran l’histoire d’une jeunesse rebelle, à cette période de rupture qui nous amène progressivement aux années soixante. Une rupture qui est d’ailleurs au cœur de La fureur de vivre.
Il est difficile de vraiment catégoriser et cerner ce film. Décrié par certains pour son côté surfait, théâtral, voire amateur, La fureur de vivre n’est pas exempt de reproches, mais il n’échoue pas dans sa démarche. Il ne s’analyse correctement qu’avec un minimum de recul, car il faut dire qu’il est assez déstabilisant.
L’histoire s’intéresse entre autres à trois personnages, Jim (James Dean), Judy (Natalie Wood) et Plato (Sal Mineo). Chacun est confronté à un problème similaire : le délaissement. Ils se sentent rejetés par leurs parents, abandonnés, et n’ont aucun repère. Pour symboliser cet état de fait, le film débute dans un poste de la brigade des mineurs, où les trois protagonistes se rencontrent de manière plus ou moins directe. Ils y sont présentés comme étant des jeunes perdus, tantôt apeurés et défiants.
Le film est assez désarticulé, présentant des personnages au comportement difficile à cerner, et s’avère même presque schizophrène. Dans sa démarche qui est celle de montrer la complexité du passage à l’âge adulte, le film expose ses personnages sous des angles très divers, les faisant rapidement pencher successivement vers le « bon », puis le « mauvais » côté. On parvient à se familiariser avec les personnages, pourtant certaines de leurs réactions au cours de l’histoire n’ont de cesse de déstabiliser le spectateur par leur aspect imprévisible, voire insensé.
Si je n’ai pas fait exception à la règle, ces changements brusques ne sont pas totalement dénués de sens et ont une explication. Le personnage donnant le plus de clés sur ce point est Jim, campé par James Dean. Le premier quart d’heure du film donne les clés qui permettent de cerner correctement le personnage. On le voit, dès le début du film, s’allonger par terre dans une rue, vraisemblablement ivre, aux côtés d’un petit singe en peluche qui joue des cymbales. Arrêté par la police, il arbore un comportement défiant à l’égard des officiers, en se moquant ouvertement d’eux. Néanmoins, il montre des signes de lucidité et de sympathie en proposant sa veste au jeune Plato, lui aussi en attente d’être sollicité par l’un des agents.
Son attitude change à nouveau lorsque ses parents et sa grand-mère viennent le chercher. Fatigué par leurs disputes et leur désaccord, il baisse les bras, et est sollicité par l’agent afin qu’ils parlent seul à seul. Il tente alors de le frapper afin d’être envoyé en maison de correction, mais l’agent l’esquive et comprend alors le sens de ce geste. Face au manque de sérieux et d’implication de ses parents, Jim perd le contrôle et s’isole, adoptant alors un comportement déraisonnable, voire lâche. Voyant l’agent lui résister, le défier, et être prêt à l’écouter et à le comprendre, il s’assagit soudainement et reprend ses esprits.
Le film reprend le même schéma, se faisant s’opposer le besoin d’écoute des jeunes face à la surdité de leurs parents qui se défilent et ne parviennent pas à encadrer leurs enfants. La rupture de la communication entre générations est au cœur du film. Judy voudrait que son père cesse de la repousser, Jim voudrait que son père le guide et fasse preuve d’autorité, et Plato voudrait tout simplement que ses parents soient là. Ainsi, leur seul exutoire se trouve à l’extérieur. Judy rejoint une bande de loubards, Jim, quant à lui, trouve chez le chef de la bande plus qu’un ennemi, un défi à relever pour prouver sa valeur et trouver un équilibre.
La fureur de vivre propose des scènes très fortes, au potentiel dramatique puissant, à l’image de la scène où Jim demande à son père « lève-toi pour moi », et que ce dernier est incapable de le faire, symbole d’une perte totale d’emprise sur la tournure des événements. C’est donc dans la relation entre les personnages que se construit leur personnalité et leurs agissements, dans ce qui s’avère finalement être une vaste métaphore de la vie de famille.
Difficile de considérer ce film comme un grand classique. Celui-ci base sa notoriété surtout, hélas, sur le décès prématuré de James Dean. Techniquement, il est également plein d’erreurs, et le spectateur est quelque peu bringuebalé tout au long du film, ne sachant réellement qu’en penser. Loin d’être parfait, il parvient toutefois à mes yeux à proposer un spectacle fort, tragique et marquant. Déstabilisant, il montre, peut-être non sans exagération, un phénomène toujours d’actualité aujourd’hui, bien qu’on veuille en faire « le film de toute une génération ».
Note : 7/10.
Bande-annonce de La fureur de vivre