Gagarine (Fanny Liatard & Jérémy Trouilh, 2021) – Critique & Analyse
Lorsque la cité Gagarine est inaugurée à Ivry-sur-Seine en grande pompe en 1963 en la présence du cosmonaute qui lui a donné son nom, c’est l’effervescence et tout le monde est plein d’espoirs. Près de soixante ans plus tard, la structure s’est flétrie et sa destruction n’est plus qu’une question de temps. Mais les rêves, eux, se sont-ils envolés ?
Fiche du film
- Genre : Drame
- Réalisateur(s) : Fanny Liatard, Jérémy Trouilh
- Distribution : Alséni Bathily, Lyna Khoudri, Jamil McCraven, Finnegan Oldfield
- Année de sortie : 2021
- Synopsis : Youri, 16 ans, a grandi à Gagarine, immense cité de briques rouges d’Ivry-sur-Seine, où il rêve de devenir cosmonaute. Quand il apprend qu’elle est menacée de démolition, Youri décide de rentrer en résistance. Avec la complicité de Diana, Houssam et des habitants, il se donne pour mission de sauver la cité, devenue son » vaisseau spatial « . (SensCritique)
Critique et Analyse
Immense structure bétonnée à l’architecture peu engageante, la cité nous est montrée comme étant pleine de vie, vue à travers le regard de Youri, jeune homme qui a hérité du prénom du célèbre cosmonaute, et qui entretient ses rêves d’espace dans ces murs entre lesquels il a grandi. Loin de sa mère, qui tente de refaire sa vie, il vit dans ce lieu désormais chargé d’histoire, rythmé par un quotidien souvent balisé, où s’anime toute une communauté devant certes faire face à l’adversité, mais qui reste unie.
« Nous faisons la rencontre de ceux et celles qui ont fait l’histoire de cette cité, montrant que cette immense structure en béton recèle bien des destins et des expériences qui traduisent la richesse de l’humanité. »
Là où le regard extérieur retiendrait la misère et l’usure des lieux, celui adopté dans Gagarine favorise la mise en lumière de l’humanité, de l’histoire de chacun, de ses aspirations, de sa vie. En suivant Youri, nous faisons la rencontre de ceux et celles qui ont fait l’histoire de cette cité, montrant que cette immense structure en béton recèle bien des destins et des expériences qui traduisent la richesse de l’humanité. La mise en scène et le cadrage traduisent cette passion qu’a Youri envers l’espace, filmant la cité comme un immense vaisseau spatial, nous faisant traverser les couloirs comme si nous étions dans l’un de ces engins, en n’hésitant pas à agrémenter le tout d’une instrumentalisation et de bruitages suggérant un peu plus cette analogie à chaque fois.
Gagarine, ce sont des moments où le temps semble suspendu, comme cette exploration d’une pièce où la lumière qui entre dessine la carte du ciel, ou comme cet échange en morse où deux lumières créent une discussion dans la nuit et le silence, comme deux astres qui communiquent dans l’obscurité de l’espace. De cette exploration et cette illustrations des rêves d’un jeune homme se dégage une mélancolie douce et touchante, qui se heurte à une réalité bien plus brutale et fataliste. Ce qui crée ce sentiment de nostalgie, c’est la vision de la fin d’un monde, voire celle du monde, à travers la programmation de la destruction de la cité, signe de la fin d’une époque, et de celle des rêves. Les rêves de ceux que la société a choisi de laisser de côté, et qui décide de leur sort, en dépit des belles promesses.
La destruction face à la création, les rêves face à la réalité. Un sentiment d’urgence nous anime face à Gagarine, l’urgence de vivre face à la montre qui tourne et au monde qui nous impose son rythme. Gagarine est un premier long-métrage très touchant plein de bonnes idées, créant un instant de poésie dans un monde qui semble l’avoir délaissée.
Note et avis
En résumé
Confrontation entre rêves et réalité, vision poétique d’un monde qui touche à sa fin, source d’incompréhension et de perte de repères, Gagarine touche par sa douce mélancolie qui ne manque pas d’âpreté, où une cité en ruine devient un sanctuaire, voire un refuge.
J’ai eu la chance de découvrir Gagarine dans le cadre du Prix Cinéma des Etudiants France Culture, et quelle belle découverte ! Une cinématographie magistrale baignée par des inspirations science-fictionnelles, un récit poétique et pertinent qui ne verse jamais dans le misérabilisme ou le portrait social trop souvent associé aux cités… La scène finale m’a absolument bouleversé.
C’est du réalisme magique à la française, non pas versant dans le fantastique, mais dans la science-fiction ; mêlant réel et imagination à travers les yeux de Youri le rêveur, qui a fait de Gagarine son vaisseau spatial.