Babylon (Damien Chazelle, 2023) – Critique & Analyse
Quand Damien Chazelle s’annonce avec un nouveau film de trois heures sur le Hollywood des Années Folles, portant le nom d’une immense cité disparue, symbole de l’accomplissement d’une civilisation disparue, on s’attend à quelque chose de fou, démesuré, et un brin nostalgique. Babylon, un film qui déchaîne déjà les passions et qui annonce maints débats entre cinéphiles.
Fiche du film
- Genre : Drame
- Réalisateur(s) : Damien Chazelle
- Distribution : Brad Pitt, Margot Robbie, Diego Calva, Jean Smart, Jovan Adepo
- Année de sortie : 2023
- Synopsis : Los Angeles des années 1920. Récit d’une ambition démesurée et d’excès les plus fous, l’ascension et la chute de différents personnages lors de la création d’Hollywood, une ère de décadence et de dépravation sans limites. (SensCritique)
Critique et Analyse
Place à la fête !
La longue ouverture de Babylon met en scène une immense fête tenue chez un grand producteur de Hollywood, restituant tout ce qu’on imagine de l’époque : un pur moment de débauche où luxe et faste côtoient drogue et sexe. Une parenthèse nerveuse où la musique dicte le rythme d’une soirée sans limite où tout le gratin de Hollywood est réuni. Là, tous les participants à l’épopée qui s’annonce se retrouvent dans le même lieu, mêlés à une foule immense et bigarrée dans laquelle ils se fondent, où tout le monde semble parler la même langue. Un moment de folie et de chaos qui synthétise toute une époque pour mieux la mettre en perspective ensuite. Car cette effervescence va se diffuser tout au long du film de Damien Chazelle, qui va s’évertuer à dépeindre cette époque en suivant ce principe, dans une frénésie qui dépasse toujours les personnages.
« Babylon décrit une réalité paraissant souvent ingrate et vulgaire, injuste, dont le cinéma constitue une issue, magnifiant le laid, effaçant les barrières, créant des parenthèses magiques où surgissent les vraies émotions. »
C’est l’image d’un Hollywood foisonnant où les films sont tournés à la pelle, dans des décors extérieurs où un tournage a lieu à quelques mètres d’un autre, où les superproductions réunissent des milliers de figurants, où nombre de désespérés viennent toquer à la porte pour tenter leur chance. Les quatre personnages principaux choisis comme protagonistes dans Babylon permettent d’avoir plusieurs points de vue sur ce milieu, régi par un système maintenant un équilibre fragile entre le fait de nourrir de grandes ambitions, et les excès que cela peut engendrer. Ainsi, Babylon décrit une réalité paraissant souvent ingrate et vulgaire, injuste, dont le cinéma constitue une issue, magnifiant le laid, effaçant les barrières, créant des parenthèses magiques où surgissent les vraies émotions.
Un changement d’époque, de rythme et de ton
Des parenthèses aussi rares que cela les rend plus marquantes. Un cinéma où tout paraissait possible à l’ère du muet, avant d’être muselé par d’importantes contraintes d’ordre technique lors de l’avènement du parlant, véritable cauchemar pour les acteurs et les équipes de tournage, établissant un parallèle manifeste avec la sur-codification du cinéma et des cahiers des charges toujours plus étoffés qui portent atteinte à la liberté artistique. Un cinéma qui permet d’effacer les barrières du temps, de faire revivre ce qui a disparu, de traverser les époques. Un cinéma qui ramène à des émotions pures et sincères, au risque d’en faire ignorer la douleur qu’il a pu provoquer. La douleur de celles et ceux qui y croyaient, laissant finalement ces espoirs et ces croyances au spectateur, qui ne cernera peut-être la vraie beauté que bien des années après.
Pour tenter d’y voir plus clair, le mieux reste de prendre l’histoire de chaque personnage à part pour y voir un point commun. D’abord Manny, le jeune homme débrouillard qui vient sans rien mais qui parvient à se faire une place grâce à sa capacité à s’adapter, tout en devenant tributaire de ce qui lui est imposé. Puis le personnage de Brad Pitt, star établie qui a le monde à ses pieds, rêvant d’immortalité, mais qui se retrouve face à l’incompréhension au moment où tout finit par lui échapper. Nelly, le personnage de Margot Robbie, voulant réussir par elle-même, tentant crânement sa chance, réussissant à faire exploser son talent, pensant trouver enfin la reconnaissance pour comprendre qu’elle n’est qu’un talent jetable parmi tant d’autres. Et, enfin, Sidney, le trompettiste Noir auquel le succès est permis pour ne finir que par le mieux le replonger dans sa condition dans une société encore loin d’être égalitaire. Plusieurs destins confrontés à un changement marquant (le passage du muet au parlant) pour illustrer leur impuissance face à un système impitoyable, qui les dépassera toujours.
Au souvenir du bon vieux temps, dans un déchaînement d’images et de musique
Babylon retrace ainsi l’idée d’un paradis perdu, d’un monde où tout semblait possible bien qu’il fût imparfait à bien des égards. L’idée de capturer quelques instants de grâce pour mieux les mettre en avant. L’idée d’un chaos diffus dans lequel on s’égare facilement. Damien Chazelle livre ainsi l’œuvre ambitieuse et démesurée que l’on imaginait, reprenant la frénésie d’un Whiplash pour retranscrire dans ce nouveau film cette même idée de violence et de lutte permanente. Un film tragi-comique où Brad Pitt et Margot Robbie, en tête, illustrent tous les excès de l’époque tout comme son injustice, pendant que le personnage de Manny se présente davantage comme un témoin, tentant de maîtriser ce qui ne peut l’être. Toujours avec ce côté « jazzy » omniprésent, ces lumières prononcées et cette ambiance souvent festive, Babylon reprend bien la suite de ses prédécesseurs dans la filmographie de Chazelle, à l’exception de First Man, bien sûr. Babylon mélange énormément de choses, allant du faste de villas luxueuses aux bas-fonds les plus répugnants de Los Angeles, de la gloire à la déchéance, rendant forcément difficile une appréhension rapide d’une œuvre qui a tout pour diviser.
Assez radical, sans intrigue réelle, toujours dans l’excès et jamais dans la constance, Babylon sollicite des émotions souvent contraires qui ont de quoi maintenir le spectateur dans un drôle d’équilibre, ne sachant pas exactement sur quel pied danser. Dans sa vision testamentaire d’une époque révolue et regrettée, le film risque d’être comparé au Once Upon a Time… in Hollywood de Quentin Tarantino, brillante œuvre sur le cinéma qui n’a cependant guère plus de points communs avec Babylon que cette vision partagée. Là, tout n’est que désordre et laideur, luxe, désordre et âpreté, comme un coup de sang contre un monde qui ne comprend plus son propre art, qui a oublié l’essentiel et le sens du beau. Il n’est pas simple de statuer clairement sur un film aussi dense malgré sa longueur, qui cherche à raconter beaucoup de choses tout en se maintenant dans un désordre volontaire, matérialisant le point de vue du réalisateur sur l’époque et sur l’état du cinéma, en ce temps, et aujourd’hui. Trois heures passant à vitesse grand V, où les sens se déchaînent, et dont on sort lessivé, mais avec l’idée selon laquelle le cinéma est un art unique et précieux.
C’est vrai que le risque est de le comparer à « Once upon a time… in Hollywood », voire à des fresques léonienne commençant par le même intitulé. Mais Chazelle ne fait pas montre d’une même maîtrise, se perd dans les dérapages de ses arcs narratifs non contrôlés. J’y vois pour ma part une tentative ratée d’émuler « le Loup de Wall Street », mais là encore, n’est pas Scorsese qui veut, et la cinéphilie ostentatoire est en général mauvaise conseillère. Ses allusions plus qu’appuyées à son amour pour la musique et le septième art à travers « le Chanteur de jazz » et « Chantons sous la pluie » sont hélas bien pathétiques.
Oui, il y va plus avec de gros sabots qu’autre chose, à plusieurs reprises. C’est assez attendu et bruyant. Il a choisi la débauche et l’excès, quand un peu de pudeur au niveau de la réalisation aurait en effet pu dégager plus de poésie et d’émotions.
Ce que je ne lui pardonne pas c’est malgré les trois heures d’avoir sacrifié des personnages intéressants et des scènes capitales. Je pense à George Munn, le producteur qui entretient un lien très fort avec Conrad mais n’est pas assez montré. Ou bien ce passage sur les tables de jeu de Nellie qui me semblent plus intéressant que certaines fêtes redondantes.
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