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Le Voyage de la Peur (Ida Lupino, 1953) – Critique & Analyse

Cette mésaventure pourrait être la vôtre. C’est peu ou prou le message passé par les cartons d’introduction du Voyage de la Peur, une invitation à une virée pas comme les autres, sur une route où chaque coup d’œil au rétroviseur peut être le dernier.


Fiche du film

Affiche du Voyage de la Peur (1953)
Affiche du Voyage de la Peur (1953)
  • Genre : Thriller
  • Réalisateur(s) : Ida Lupino
  • Distribution : Edmond O’Brien, Frank Lovejoy, William Talman
  • Année de sortie : 1953
  • Synopsis : Un tueur hante les routes désertiques en se faisant passer pour un auto-stoppeur auprès des rares voitures qui croisent son chemin. Bientôt traqué, il se résout à fuir en menaçant deux pêcheurs qui le conduisent jusqu’au Mexique. Contraints par le porteur du pistolet, les deux hommes ne parviennent pas à se libérer de son joug. (SensCritique)

Critique et Analyse

Le Voyage de la Peur (1953)
Le Voyage de la Peur (1953)

Dans Le Voyage de la Peur, tout va tourner autour de la figure mystérieuse et intimidante de ce tueur itinérant, qui a recours à l’auto-stop pour voyager, et qui laisse derrière lui une pile de cadavres, sacrifiant ses infortunés conducteurs sur l’autel de la discrétion. Forcément, quand on découvre notre duo de protagonistes, on sait déjà qu’ils croiseront le chemin de ce tueur des routes à un moment ou à un autre. Toute la tension va se cristalliser de ce dernier, dont le visage est volontairement caché lors de l’exposition de ses premiers meurtres pour conférer à cet homme une aura fantomatique et terrorisante.

« Le Voyage de la Peur offre un exercice de style intéressant où l’habitacle devient une véritable cocotte minute où la pression ne fait que monter, laissant le spectateur dans l’angoisse d’une inexorable explosion. »

Lorsqu’il nous apparaît enfin, la mort dévoile son visage, et débute un cauchemar pour les deux autres protagonistes du film. Le Voyage de la Peur offre ainsi un exercice de style intéressant où l’habitacle devient une véritable cocotte minute où la pression ne fait que monter, laissant le spectateur dans l’angoisse d’une inexorable explosion. Forcés de devoir répondre aux exigences du tueur, les deux hommes poursuivent leur route, et chaque arrêt et chaque rencontre est l’occasion de renouer avec ce qui donne un sens à la vie, et nécessite de se rebeller pour se défaire du joug du tueur.

Le Voyage de la Peur (1953)
Le Voyage de la Peur (1953)

Pour ajouter un peu de piment, Ida Lupino lui a attribué une caractéristique physique selon laquelle un de ses yeux ne se ferme jamais, garantissant que chacune de ses siestes ne pourrait être une opportunité de fuite, à défaut de savoir s’il a bien sombré dans les bras de Morphée ou non. Les amateurs de road movies pourront donc trouver ici un film à leur convenance, dans un ton qui oscille entre le thriller et le film noir. Il est intéressant, par ailleurs, de rappeler le nom de la réalisatrice, Ida Lupino, un nom féminin qui figure parmi les rares de l’époque à s’être distingués à Hollywood, faute de beaucoup de représentantes féminines derrière la caméra à l’époque.

Dans son exécution, Le Voyage de la Peur remplit parfaitement son rôle et offre une bonne heure de frissons tout au long de ce funeste voyage. Pour le spectateur contemporain, il manquera probablement de matière, allant beaucoup à l’essentiel, quelques rebondissements venant rythmer l’intrigue, qui va prendre un chemin bien plus attendu, quant à lui. Ainsi, on peut considérer que le potentiel affiché aurait pu donner lieu à davantage de profondeur chez les personnages, l’exploration de plus de pistes de réflexion, etc., pouvant donc laisser un goût d’inachevé. Mais on ne boudera pas notre plaisir et l’histoire dont s’inspire ce film inspirera elle-même un autre film connu avec Rutger Hauer en 1986 prouve qu’elle a un aspect aussi intemporel que terrifiant.

Quentin Coray

Quentin, 29 ans, mordu de cinéma depuis le visionnage de Metropolis, qui fut à l'origine d'un véritable déclic. Toujours en quête de nouvelles découvertes pour élargir mes connaissances et ma vision du cinéma. "L'art existe et s'affirme là où il y a une soif insatiable pour le spirituel, l'idéal. Une soif qui rassemble tous les êtres humains." - Andreï Tarkovski

Une réflexion sur “Le Voyage de la Peur (Ida Lupino, 1953) – Critique & Analyse

  • « Le Voyage de la peur » de Ida Lupino…
    Au risque de passer pour un vil flagorneur ou pour un thuriféraire forcené, je ne peux m’empêcher de reconnaître à nouveau que le travail de Erwan Cadoret, après le visionnement du film, apporte quelque chose de plus, par sa lecture du film, ses analyses pertinentes et ses pistes de recherche. Réellement, après le plaisir du film, on est heureux d’en savoir davantage grâce à l’éclairage qu’apporte Erwan Cadoret, d’autant que, cette fois, le film étant plus court (1h 11min), il a laissé le temps au spécialiste de boucler son analyse.
    Donc, quatrième et dernier film du cycle Ida Lupino, « Le voyage de la peur »…
    A mon humble avis, probablement le meilleur, car le plus abouti. Ici, Ida Lupino quitte l’étude sociale -encore que cette dernière ne soit pas complètement absente- pour aborder le film noir, envie que Ida Lupino nourrissait probablement depuis longtemps.
    D’abord un film avec un noir et blanc somptueux, la qualité de l’image étant exceptionnelle. Avec, en outre, une grande maîtrise dans la mise en scène!
    Un tueur psychopathe fait du stop, finit par tuer ceux qui le prennent, utilise la voiture jusqu’à ce qu’elle tombe en panne et recommence. Très vite, dès le début du film, on comprend la situation… Puis, on se retrouve avec deux gars, deux gars « normaux », un peu des « messieurs tout le monde » auxquels il est facile de s’identifier, qui partent en vadrouille loin de leurs épouses, partie de pêche ou bordée nostalgique qui leur rappelle leur jeunesse, on ne sait trop. Évidemment, vous l’avez compris, ils tombent sur le psychopathe, qui les prend en otages. Partant de là, on ne quitte plus ce trio et le road-movie permet à la réalisatrice de faire un portait magistral de ces trois personnages, de creuser les personnalités et de nous montrer les rapports de force et l’affrontement attendu. C’est surtout d’ailleurs le portrait du psychopathe qui est de loin le plus intéressant et le plus original, car Ida Lupino essaie de trouver des explications à son comportement, ce que ne font pas habituellement les films noirs américains. Ida Lupino était partie d’un fait divers réel et a beaucoup étudié la personnalité du psychopathe. On l’a dit, les paysages sont magnifiques, grandioses, et ils collent parfaitement avec l’action que l’on suit avec beaucoup d’intérêt. A signaler aussi l’interprétation remarquable des trois acteurs qui campent brillamment les trois personnages!
    Évidemment, le film est très riche et les grilles de lecture sont passionnantes, en particulier l’interprétation psychanalytique, qu’Erwan Cadoret n’a volontairement fait qu’effleurer…
    Au total un magnifique film qu’il faut voir sur grand écran, d’autant que le film a bénéficié d’une nouvelle sortie le 19 mai 2021, valorisé par les dernières techniques de rénovation.
    En tout cas le cinéma de Ida Lupino est passionnant, il est à voir et à revoir!

    « Le Voyage de la peur » de Ida Lupino…
    Au risque de passer pour un vil flagorneur ou pour un thuriféraire forcené, je ne peux m’empêcher de reconnaître à nouveau que le travail de Erwan Cadoret, après le visionnement du film, apporte quelque chose de plus, par sa lecture du film, ses analyses pertinentes et ses pistes de recherche. Réellement, après le plaisir du film, on est heureux d’en savoir davantage grâce à l’éclairage qu’apporte Erwan Cadoret, d’autant que, cette fois, le film étant plus court (1h 11min), il a laissé le temps au spécialiste de boucler son analyse.
    Donc, quatrième et dernier film du cycle Ida Lupino, « Le voyage de la peur »…
    A mon humble avis, probablement le meilleur, car le plus abouti. Ici, Ida Lupino quitte l’étude sociale -encore que cette dernière ne soit pas complètement absente- pour aborder le film noir, envie que Ida Lupino nourrissait probablement depuis longtemps.
    D’abord un film avec un noir et blanc somptueux, la qualité de l’image étant exceptionnelle. Avec, en outre, une grande maîtrise dans la mise en scène!
    Un tueur psychopathe fait du stop, finit par tuer ceux qui le prennent, utilise la voiture jusqu’à ce qu’elle tombe en panne et recommence. Très vite, dès le début du film, on comprend la situation… Puis, on se retrouve avec deux gars, deux gars « normaux », un peu des « messieurs tout le monde » auxquels il est facile de s’identifier, qui partent en vadrouille loin de leurs épouses, partie de pêche ou bordée nostalgique qui leur rappelle leur jeunesse, on ne sait trop. Évidemment, vous l’avez compris, ils tombent sur le psychopathe, qui les prend en otages. Partant de là, on ne quitte plus ce trio et le road-movie permet à la réalisatrice de faire un portait magistral de ces trois personnages, de creuser les personnalités et de nous montrer les rapports de force et l’affrontement attendu. C’est surtout d’ailleurs le portrait du psychopathe qui est de loin le plus intéressant et le plus original, car Ida Lupino essaie de trouver des explications à son comportement, ce que ne font pas habituellement les films noirs américains. Ida Lupino était partie d’un fait divers réel et a beaucoup étudié la personnalité du psychopathe. On l’a dit, les paysages sont magnifiques, grandioses, et ils collent parfaitement avec l’action que l’on suit avec beaucoup d’intérêt. A signaler aussi l’interprétation remarquable des trois acteurs qui campent brillamment les trois personnages!
    Évidemment, le film est très riche et les grilles de lecture sont passionnantes, en particulier l’interprétation psychanalytique, qu’Erwan Cadoret n’a volontairement fait qu’effleurer…
    Au total un magnifique film qu’il faut voir sur grand écran, d’autant que le film a bénéficié d’une nouvelle sortie le 19 mai 2021, valorisé par les dernières techniques de rénovation.
    En tout cas le cinéma de Ida Lupino est passionnant, il est à voir et à revoir!

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