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J’Accuse (Abel Gance, 1919) – Critique & Analyse

« J’Accuse » , voici un titre qui rappelle sans aucun doute la fameuse une d’Emile Zola dans L’Aurore, publiée lors de l’affaire Dreyfus. Mais il s’agit également du titre de deux films du cinéaste français Abel Gance, deux films très proches, le second étant d’un certain point de vue un remake du premier, qui sera l’objet de cet article. Car si la Seconde Guerre Mondiale a été un sujet d’inspiration pour nombre de grands cinéastes et donnant naissance à de grands films, on oublie souvent la Première Guerre Mondiale, qui fut également le sujet d’autres grands films, notamment lors de la période de l’entre-deux guerres, et voici l’un des tous premiers.


Fiche du film

Affiche de J'Accuse (1919)
Affiche de J’Accuse (1919)
  • Genre : Drame, Guerre
  • Réalisateur : Abel Gance
  • Année de sortie : 1919
  • Casting : Romuald Joubé, Séverin-Mars, Maryse Dauvray, Maxime Desjardins
  • Synopsis : Le film met en relief deux hommes que tout sépare issus d’un même village. L’un, Jean Diaz, est poète et porte la joie de vivre, l’autre, François Laurin, est une brute qui rend sa femme, Edith, contrainte au mariage par son père, malheureuse. Jean et Edith tombent amoureux. La guerre éclate. (senscritique.com)

Critique et Analyse

J'Accuse (1919)
J’Accuse (1919)

Abel Gance vit son film sortir en 1919, mais il n’a pas attendu la fin de la guerre pour commencer à le réaliser. Les canons tiraient encore et les soldats se battaient au front lorsqu’il tournait J’Accuse, un des premiers films sur la Première Guerre Mondiale, suivant de peu les Coeurs du Monde de D.W. Griffith. Le cinéma français avait déjà vécu de belles heures, notamment avec les serials de Feuillade comme Les Vampires ou Judex, mais il demeurait jusqu’ici très terre-à-terre et ancré dans la réalité. Abel Gance, jeune cinéaste, livre avec J’Accuse son premier grand projet cinématographique et montre rapidement son ambition de voir au-delà de ce qui existait déjà, d’anticiper et d’innover pour donner au cinéma une nouvelle dimension. Avec son sens du cadrage, son montage dynamique, ses mouvements de caméra, ses oscillations entre imagerie réelle et onirique, son lyrisme et sa poésie envoûtants, il donne naissance à un cinéma artistique qui cherche à conceptualiser au-delà de simplement mettre en scène.

« Abel Gance, jeune cinéaste, livre avec J’Accuse son premier grand projet cinématographique et montre rapidement son ambition de voir au-delà de ce qui existait déjà, d’anticiper et d’innover pour donner au cinéma une nouvelle dimension. »

Les premières scènes se déroulent en Provence, lors de l’été 1914, une période de paix, et de calme avant la tempête. Après un générique original qui montre déjà la volonté d’Abel Gance d’imposer son style, le cinéaste parvient à créer une douceur enveloppante et à montrer sa capacité à maîtriser le cadrage et les lumières pour donner à chaque scène une atmosphère particulière, à générer chez le spectateur des émotions spécifiques, et de créer de véritables tableaux vivants, comme l’illustre la photo ci-dessus. Autant dans une campagne paisible que sur un champ de bataille où règnent chaos et destruction, le cinéaste fait de son film un spectacle grandiloquent et puissant qui parvient à donner un panorama saisissant et inédit de la Première Guerre Mondiale.

J'Accuse (1919)
J’Accuse (1919)

Car le film d’Abel Gance est incroyablement complet. Mettant en scène un triangle amoureux, classique de l’époque, il lui donne une allure de fable, mais il développe derrière un véritable plaidoyer sur l’absurdité de la guerre et sur le fait qu’elle va changer durablement le monde. En opposant puis en unissant un poète idéaliste et un rustre, en transformant une prairie calme en champ de cratères, en suggérant un viol, Abel Gance marque le spectateur et détruit tout ce qui existait. La vie laisse place à la mort, un ancien monde laisse place à un nouveau. C’est tout l’objet du troisième acte qui, au-delà de chercher à dénoncer la guerre telle qu’elle est, vise surtout à alerter les survivants et les générations futures quant au risque de refaire les mêmes erreurs et de rendre vain le sacrifice de ces millions d’hommes.

J’Accuse est un film tout à fait spectaculaire pour l’époque, aux nombreuses séquences inoubliables, tant les scènes intimistes au début du film, que les scènes de combat sur le front, ou l’incroyable marche des morts à la fin. Abel Gance donne ici naissance à un nouveau cinéma, un cinéma qui dénonce, comme pouvait le faire D.W. Griffith dans Intolerance trois ans plus tôt, mais aussi un cinéma plus artistique et poétique, qui utilise les techniques qui lui sont propres (lumières, cadrage, surimpression, montage) pour véhiculer des messages intrinsèques et véritablement communiquer avec le spectateur par ce biais. J’Accuse est incontestablement un des plus grands films de guerre et un des plus grands films muets. Un film bientôt centenaire, mais dont une nouvelle version restaurée permet de le découvrir dans des conditions exceptionnelles, et de se rappeler que l’homme doit définitivement retenir les leçons tirées de ses erreurs.

Note et avis

En résumé

J’Accuse est un des premiers films sur la Première Guerre Mondiale, une puissante oeuvre sur la guerre, ses terribles conséquences, mais aussi et surtout une mise en garde sur notre capacité à retenir des leçons des erreurs du passé. Un film puissant, superbe, plein d’innovations, qui n’a de cesse de marquer et qui mérite d’être connu davantage.

Note globale
9/10
9/10

Quentin Coray

Quentin, 29 ans, mordu de cinéma depuis le visionnage de Metropolis, qui fut à l'origine d'un véritable déclic. Toujours en quête de nouvelles découvertes pour élargir mes connaissances et ma vision du cinéma. "L'art existe et s'affirme là où il y a une soif insatiable pour le spirituel, l'idéal. Une soif qui rassemble tous les êtres humains." - Andreï Tarkovski

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