Un témoin dans la ville (Edouard Molinaro, 1959) – Critique & Analyse
Dans notre monde moderne, la notion de justice est très généralement rattachée à l’institution qui porte le même nom. Comment imaginer aujourd’hui outrepasser la loi pour appliquer ses propres règles ? Pourtant, il n’y a rien de plus humain que de vouloir choisir soi-même son destin. Et la funeste cavale que l’on nous propose de suivre dans Un témoin dans la ville est là pour nous le rappeler.
Fiche du film

- Genre : Drame, Policier, Thriller
- Réalisateur(s) : Edouard Molinaro
- Distribution : Lino Ventura, Sandra Milo, Franco Fabrizi, Jacques Berthier
- Année de sortie : 1959
- Synopsis : Madame Ancelin a été tuée par son amant, un certain Verdier. Plutôt que de dénoncer le meurtrier, monsieur Ancelin préfère le supprimer à son tour. Il maquille son crime de façon à faire croire à un suicide, mais en sortant de chez sa victime, il rencontre un imprévu : un chauffeur de taxi que Verdier venait d’appeler. Ce témoin gênant est loin de se douter qu’un meurtre vient d’être commis. Il s’éloigne, persuadé de s’être trompé d’adresse. Ancelin, méfiant, entreprend de le retrouver pour s’assurer définitivement de son silence. (SensCritique)
Critique et Analyse

Le film d’Edouard Molinaro pose d’emblée le décor en nous rendant témoins d’un horrible meurtre, avant une ellipse qui nous fait découvrir que le meurtrier bénéficie, à l’issue de son procès, d’un non-lieu. Satisfaction de l’avocat, soulagement faussement endeuillé de l’accusé, et discours désabusé d’un magistrat convaincu de la culpabilité de ce dernier, concluant sur un « personne n’est un meurtrier, jusqu’à preuve du contraire. » Difficile de faire plus éloquent, pour investir le spectateur dans ce début d’intrigue qui s’initie dans une injustice désarmante. La première partie d’Un témoin dans la ville choisit donc comme personnage principal Verdier, l’antagoniste désigné, qui bénéficie donc de ses premières heures de liberté. Mais le destin est souvent implacable, et le sort ne va pas l’épargner. Un premier accident de voiture, sans conséquences graves, puis une effraction à son domicile, perpétrée par un homme qui, en cette soirée, a décidé de prendre le rôle de la grande faucheuse.
« Un témoin dans la ville pousse autant Ancelin que le spectateur dans leurs retranchements, les pressant dans un étau qui se ressert de façon inéluctable, où la principale victime demeure l’innocence. »
Tel un fantôme venu hanter Verdier, l’ombre finit par avoir un visage sous les traits d’Ancelin, campé par Lino Ventura. Sentence irrémédiable, et changement de protagoniste. Le veuf trompé est désormais devenu le bourreau d’un homme lui-même bourreau de sa défunte femme. Un cycle infernal s’est initié et rien ne peut désormais plus se conclure de manière heureuse. Car, bien que convaincu d’avoir pris toutes les précautions nécessaires pour aboutir au crime parfait, Ancelin n’est pas exempt des aléas du hasard. Pour le spectateur, un premier cas de conscience se présente alors : jusqu’ou peut-on cautionner l’entreprise d’Ancelin ? Le meurtre est-il une réponse à un autre meurtre ? A quel point Verdier méritait-il cette sentence ? Un témoin dans la ville pousse autant Ancelin que le spectateur dans leurs retranchements, les pressant dans un étau qui se ressert de façon inéluctable, où la principale victime demeure l’innocence.

En effet, la froideur d’Ancelin lors de son ultime rencontre avec Verdier suscite l’effroi autant qu’une forme d’exaltation déplacée face à la punition d’un homme abject. Et pourtant, malgré sa culpabilité devenue évidente, il était jusqu’ici la victime indirecte du meurtre présenté en introduction. Et cette position induit une forme de compassion envers Ancelin et une préoccupation envers ce sort. Mais là où Un témoin dans la ville vise juste, c’est dans la dégénération progressive de la situation, où la quête effrénée d’Ancelin pour camoufler son meurtre va forcément finir par impliquer des personnes véritablement innocentes. Ainsi, les conséquences des actes d’Ancelin vont le transformer en monstre torturé, affectant le sort de malheureux tombés sur son chemin, tout en le condamnant à une folie désespérée.
A la fin, la justice vient elle-même chercher une issue à la situation. Une justice qui n’a plus un seul visage mais plusieurs, mus par une volonté commune de réparer l’horreur commise par un homme. Mais le spectateur n’est pas dupe : en contribuant à cette chasse funeste, ces multiples justiciers deviennent à leur tour des bourreaux, sacrifiant leur innocence sur l’autel d’une vengeance présumée juste. Sauf que personne ne gagnera jamais à ce jeu qui ne peut avoir de fin, si ce n’est celle du monde entier. Aucun sacrifice ne refermera les cicatrices du passé, et c’est dans cette noirceur ambiante et glaçante qu’Un témoin dans la ville nous immerge et nous laisse à l’issue de sa résolution, dans un monde dépouillé, où seules demeurent la violence et la culpabilité.
