Années 1970 - 1990Critiques

Stalker (Andreï Tarkovski, 1979) – Critique & Analyse

Stalker peut facilement être catalogué parmi les grandes énigmes du septième art. Anxiogène, très long, aux plans interminables et aux dialogues extrêmement philosophiques, il est de ces films qui ne s’abordent pas sans une préparation certaine. Cinquième long-métrage d’Andreï Tarkovski, il représente ce que l’on considère d’accoutumée, avec Le Miroir (1975), comme le sommet de la carrière du cinéaste russe.

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Affiche de Stalker (1979)
Affiche de Stalker (1979)

  • Genre : Fantastique, Science-Fiction
  • Réalisateur : Andreï Tarkovski
  • Année de sortie : 1979
  • Casting : Alexandre Kaidanovski, Nikolaï Grinko, Anatoli Solonitsyne, Alissa Feindikh
  • Synopsis : Un guide ou « stalker » conduit 2 hommes, l’un professeur et l’autre écrivain à travers une zone connue comme La Chambre afin d’exaucer tous leurs vœux. (senscritique.com)

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Stalker (1979)
Stalker (1979)

L’intrigue se déroule dans un futur plus ou moins proche où une catastrophe d’origine inconnue a donné naissance à la Zone. La Zone est un territoire vierge, cerné par des troupes militaires interdisant quiconque d’y pénétrer. Il est dit, cependant, que la Zone renferme une Chambre en son centre, un lieu où celui qui prononce un vœu voit ce dernier exaucé. Le monde décrit par Tarkovski frappe d’emblée par son austérité et sa monotonie. Rongé par l’industrie et la pauvreté, il n’incite qu’à la fuite, comme l’exprime le Stalker qui ne demande qu’à quitter cette « prison ». Cette morosité contraste avec le calme qui règne dans la Zone, où la nature et la verdure ont pris le dessus. Contrastant radicalement avec le monde extérieur, la Zone se mue en une sorte de terre originelle, un espace vierge permettant un retour aux sources.

Mais, comme il est de coutume avec Tarkovski, cette vision physique d’un lieu fantasmé se substitue rapidement à une vision plus conceptuelle et métaphysique. La Zone n’est pas qu’un simple lieu où une végétation en friche est venue reprendre le pouvoir sur les constructions de l’homme. C’est avant tout et surtout un lieu où l’homme et la nature peuvent à nouveau se retrouver. Affranchis des limites imposées par leur monde, les hommes sont mis à nu dans un espace qui semble les dépasser, où tout semble à la fois permis et régi par des règles suprêmes dont le respect est obligatoire pour bénéficier des bienfaits de ce lieu sacré. Le Stalker agit ici comme une sorte de messager, gardien de ce lieu dont lui seul semble connaître les secrets. En face de lui, Le Professeur et l’Écrivain, deux personnages à la fois rationnels, savants et désabusés, dont l’incapacité à cerner le potentiel et le pouvoir bienfaiteur de la Zone entre rapidement en conflit avec la dévotion du Stalker envers ce lieu.

Stalker (1979)
Stalker (1979)

Matérialisée sous la forme d’un lieu désert où la nature a pris ses droits, la Zone est un espace vierge où, la nature étant souveraine, les hommes sont également confrontés à leur propre nature. Venus explorer la Zone et visiter la Chambre dans le but de réaliser des vœux égoïstes, ils sont finalement mis face à leur propre condition et face à la réalité. Leurs désirs sont clairs, mais ils comprennent que ceux-ci, une fois satisfaits, risqueraient d’ôter tout but et objectif de leur existence. Est-ce finalement vraiment bénéfique d’obtenir ce que nous pensons vouloir obtenir, sans devoir lutter pour l’obtenir et, potentiellement, changer d’avis en cours de route ? La femme du Stalker résume parfaitement cette idée à la fin du film : « Je savais aussi que ma vie ne serait pas toujours rose. Mais je préférais un bonheur au goût amer à une existence grise et ennuyeuse […] Mais je n’ai jamais regretté ni jamais envié personne. C’est ma destinée, voilà tout. C’est ma vie et nous sommes ainsi. Et je ne crois pas que sans toutes nos misères, la vie aurait était moins dure. » Tout le film, ainsi, s’articule autour de cette dualité entre le bonheur et le malheur. Le malheur manifeste des hommes n’existe donc que pour justifier leur quête et leur accès au bonheur.

Stalker s’intéresse également aux croyances des hommes, à leur capacité à ne pas pouvoir tout expliquer, avec l’opposition entre le Stalker, intimidé par les pouvoirs imprévisibles de la Zone, et le Professeur et l’Écrivain, beaucoup plus terre-à-terre et certains de ce qu’ils savent et de ce qu’ils voient. Stalker est l’un des films les plus étirés de Tarkovski, et aussi l’un des plus minimalistes, avec très peu de décors et d’acteurs. Pourtant, c’est également l’un des plus profonds, ouvrant de nombreux tiroirs sur la nature humaine, développant nombre de ses aspects et les décryptant au détour de dialogues lourds de sens. Hypnotique, aride, anxiogène, Stalker est un film qui met son spectateur dans l’inconfort, mais le confronte à un retour aux sources alimenté par une puissante dissertation et une maîtrise de l’art cinématographique propre à Tarkovski.

Pour en savoir plus : La foi selon Andreï Tarkovski

Note : 10/10.

Quentin Coray

Quentin, 29 ans, mordu de cinéma depuis le visionnage de Metropolis, qui fut à l'origine d'un véritable déclic. Toujours en quête de nouvelles découvertes pour élargir mes connaissances et ma vision du cinéma. "L'art existe et s'affirme là où il y a une soif insatiable pour le spirituel, l'idéal. Une soif qui rassemble tous les êtres humains." - Andreï Tarkovski

2 réflexions sur “Stalker (Andreï Tarkovski, 1979) – Critique & Analyse

  • La Critique

    Bonne analyse merci beaucoup monsieur

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  • Amar

    Merci, ton commentaire m’aide beaucoup, j’ai vu ce film hier et j’en sors troublé, ne sachant même pas si j’ai aimé ou pas, si je ma léthargie durant le visionnage était dû à l’ennui ou à la méditation. Il va me falloir du temps pour peaufiner un ou des avis sur le film et ton interprétation me donne de belles pistes pour cela. Pour finir Stalker me met dans les mêmes tourments que 2001 l’odyssée de l’espace en plus trouble encore car au moins dans le film de Kubrick même en écartant les remous métaphysiques incertains il restait des problématiques plus explicites sur lesquelles notre conscience du concret pouvait un peu s’appuyer (machine vs humain, évolution de l’espèce etc.), là Tartovski nous jette dans un tourbillon paradoxalement plus concret, dure, brutal, froid (le décor est fait de boue, d’acier rouillé, de ruines industrielles, de végétation invasive) et plus abstrait, métaphysique, sensible, verbal dont on ne ressort pas indemne. Etrange expérience qui rien que pour la déstabilisation de l’esprit qu’elle provoque valait le coup… Bref un des rares films où j’ai aimé m’ennuyé.

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