Années 1930 - 1960CritiquesUne année, un film

L’Ennemi Public, William A. Wellman, 1931

Affiche de L'Ennemi Public (1931)
Affiche de L’Ennemi Public (1931)

« Une année, un film » : L’Ennemi Public, réalisé par William A. Wellman, sorti le 23 avril 1931.

Synopsis

Tom et Matt sont deux amis d’enfance que rien ne peut séparer. Ce sont deux enfants du début du siècle. Ils vivent en banlieue et passent le temps en commettant des petits vols, revendant leur marchandise à « Putty Nose », un petit gangster peu scrupuleux. Celui-ci va leur proposer de rejoindre son gang et d’intégrer la vaste pègre.

James Cagney et Jean Harlow dans l'Ennemi Public (1931)
James Cagney et Jean Harlow dans l’Ennemi Public (1931)

Un film moralisateur à l’ère du Pré-Code ?

Tout d’abord, qu’est-ce que le Pré-Code ? Ce terme fait référence au Hays Code, également connu sous le nom de Motion Picture Production Code, mis en place en 1934. Sans entrer dans le détail, l’objectif de celui-ci était d’encadrer la réalisation des films afin de réglementer leur production selon des critères acceptables pour une projection au grand public. C’est l’ancêtre du Référencement cinématographique de la Motion Picture Association of America, qui, aujourd’hui, définit quels films sont « interdits aux moins de… ». Ainsi, avant cette fameuse année 1934, les films étaient beaucoup moins encadrés, et pouvaient adopter un discours bien plus libre. L’objectif du Hays Code était entre autres de règlementer l’utilisation des armes, la violence des discours, ainsi que la violence physique restituées au cinéma, afin de conserver un contenu plus « politiquement correct ». Il faut dire que la mise en place du Hays Code n’est pas étrangère à l’accroissement galopant du nombre de films de gangsters, dont l’apparition se situe à la fin des années 1920.

James Cagney jetant une grappe de raisins au visage de Mae Clark dans L'Ennemi Public (1931)
James Cagney jetant une grappe de raisins au visage de Mae Clark dans L’Ennemi Public (1931), une telle scène aurait été inimaginable avec une règlementation accrue

Il s’agit en effet d’une époque où la pègre et les mafias étaient très influentes dans les grandes métropoles américaines. Ainsi, la transposition de leur histoire au cinéma posait problème, car cela pouvait être interprété comme une sorte d’hommage aux œuvres de ces organisations aux activités illégales, et les autorités n’avaient pas besoin que les réalisateurs en remettent une couche. C’est d’ailleurs l’un des points intéressants de L’Ennemi Public avec, dès les premiers instants, l’apparition d’un écran justifiant la démarche du réalisateur qui dit avant tout vouloir décrire les activités de la pègre et les dangers qui y sont liés, plutôt que de lui rendre un hommage. Cela pourrait presque être interprété comme un signe avant-coureur de la mise en place du Hays Code, trois ans plus tard.

Chroniques d’âges sombres au temps de la Prohibition

James Cagney, Edward Woods et Beryl Mercer dans l'Ennemi Public (1931)
Edward Woods, James Cagney et Beryl Mercer dans l’Ennemi Public (1931)

Néanmoins, nous ne sommes pas encore sous le joug des règlementations liées au Hays Code. Ainsi, le film peut livrer un discours sans retenue sur la pègre et ses activités durant les années 1910-1920, en se focalisant sur l’époque de la Prohibition, âge sombre qui démarra avec le dix-huitième amendement de la constitution américaine du 16 janvier 1920, visant à interdire la vente, la consommation, l’importation et le transport d’alcool sur le sol américain. Ce fut une époque propice au développement des activités de la pègre qui développa un véritable marché noir lié à l’alcool. C’est d’ailleurs le sujet majeur du film. Les jeunes Matt et Tom intègrent leur premier gang en 1914, et progressent dans leur intégration au sein de la pègre, jusqu’à devenir de véritables gangsters aguerris à l’époque de la Prohibition. Les deux personnages de Tom et Matt se dissocient rapidement par leurs caractères opposés. Le premier, joué par l’excellent James Cagney, est un personnage caractériel, irascible et lunatique, qui n’a de sympathie que pour son meilleur ami et sa mère, et qui n’hésite pas à être violent. Le second est un suiveur, plus calme et introverti, qui ne donne jamais réellement son avis et incarne un ami à la fidélité sans faille.

Le film de gangsters par excellence

L'Ennemi Public (1931)
L’Ennemi Public (1931)

Il est indéniable que L’Ennemi Public pose les jalons d’un genre adapté et réadapté au cinéma, à travers les Scarface, Parrain, et j’en passe. Mais L’Ennemi Public a l’avantage de l’époque, et sa place d’aïeul oblige le respect à son égard. Ce film dispose d’un avantage de taille : l’époque à laquelle il a été réalisé. En effet, il s’agit d’un témoignage contemporain de cette période trouble de l’histoire des États-Unis. Les ingrédients essentiels y sont : des gangsters qui ont la classe, du machisme à outrance, des querelles familiales, et une ambiance dramatique. Le casting propose une palette de personnages variés ayant chacun leur attrait et ajoutant un apport au film. Malgré cela, L’Ennemi Public n’aurait pas la même puissance sans l’extraordinaire performance de James Cagney, habité par ce rôle qui lui était parfaitement destiné. Ses traits lui donnent cet allure de type imprévisible et dangereux qui dépeignent l’homme qu’il est dans le film : un gangster en puissance qui, s’il voit que vous avez fait un pas de travers, n’hésitera pas à vous le faire savoir sans vergogne. Sur le plan de la réalisation, il s’agit d’un film relativement moderne, qui montre les impressionnants progrès faits à cette époque.

James Cagney et Edward Woods dans L'Ennemi Public (1931)
James Cagney et Edward Woods dans L’Ennemi Public (1931)

Indémodable et fondateur

L’Ennemi Public est une référence absolue parmi les films noirs. Tous les films du genre que vous avez pu regarder ont forcément un point commun avec ce film fondateur. S’il n’est pas le premier du genre, c’est sans conteste l’un de ses plus brillants représentants. Un film à la modernité remarquable à une époque où le cinéma parlant n’en était encore qu’à ses débuts. L’Ennemi Public montre que les gangsters, en dépit du danger qu’ils représentaient, ont toujours fasciné. Il faut l’avouer, on adore ces films avec ces bad boys à la classe et au charisme incomparables. Récit d’une ascension paradoxalement couplée à une véritable descente aux enfers, l’Ennemi Public est un chef d’œuvre parmi les films de gangsters. Réaliste, dramatique et très puissant.

L'Ennemi Public Inimitable.

Quentin Coray

Quentin, 29 ans, mordu de cinéma depuis le visionnage de Metropolis, qui fut à l'origine d'un véritable déclic. Toujours en quête de nouvelles découvertes pour élargir mes connaissances et ma vision du cinéma. "L'art existe et s'affirme là où il y a une soif insatiable pour le spirituel, l'idéal. Une soif qui rassemble tous les êtres humains." - Andreï Tarkovski

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