Années 1930 - 1960CritiquesPatrimoine / Autres

La Traversée de Paris (Claude Autant-Lara, 1956) – Critique & Analyse

La période de l’Occupation fait sans aucun doute partie de celles dont on voudrait effacer le souvenir. Traumatisme pour beaucoup, période d’oppression et de privation, elle a laissé derrière elle un sentiment partagé entre la détresse et la honte. Forcément, le cinéma d’après-guerre s’est approprié le sujet, et La Traversée de Paris fait partie des œuvres les plus connues en la matière.


Fiche du film

Affiche de La Traversée de Paris (1956)
  • Genre : Comédie dramatique
  • Réalisateur(s) : Claude Autant-Lara
  • Distribution : Bourvil, Jean Gabin, Louis de Funès, Jeannette Batti
  • Année de sortie : 1956
  • Synopsis : Sous l’Occupation, Martin, brave homme au chômage, doit convoyer à l’autre bout de Paris quatre valises pleines de porc. Son acolyte habituel ayant été arrêté, il fait appel à un inconnu, Grandgil. Mais celui-ci se révèle vite incontrôlable et le trajet périlleux. (SensCritique)

Critique et Analyse

Bourvil, Louis de Funès et Jean Gabin dans La Traversée de Paris (1956)
Bourvil, Louis de Funès et Jean Gabin dans La Traversée de Paris (1956)

Raconter l’Occupation, ce n’est pas juste montrer des patrouilles allemandes qui intimident les citoyens, ou s’infiltrer dans la kommandantur locale. C’est avant tout illustrer le quotidien des français de l’époque, qui doivent faire la queue pour recueillir leur ration, qui vont se contenter d’une assiette de haricots au restaurant, ou se cacher derrière des rideaux après le couvre-feu pour s’autoriser un petit verre de vin. C’est aussi le développement de tout un réseau caché, un vrai marché noir où s’échangent des marchandises pourtant banales, devenues produits de luxe et dont la possession est proscrite au petit habitant de la ville.

« La Traversée de Paris montre une société où tout le monde se retrouve au même niveau. Les disparités entre classes sociales se sont effacées pour que les individus coexistent dans la débrouille, où chacun tente de sauver sa peau par ses propres moyens. »

La Traversée de Paris, c’est l’histoire de Marcel (Bourvil), ce chauffeur de taxi aujourd’hui désœuvré, qui doit passer par ces circuits alternatifs pour tenter de gagner son pain. C’est aussi celle de Jambier (Louis de Funès), ce restaurateur taciturne qui distribue sa marchandise sous le manteau pour continuer à faire tourner son commerce. Et c’est également celle de Grandgil (Jean Gabin), ce peintre rencontré inopinément, qui se découvre ici une vie d’aventures. La Traversée de Paris montre une société où tout le monde se retrouve au même niveau. Les disparités entre classes sociales se sont effacées pour que les individus coexistent dans la débrouille, où chacun tente de sauver sa peau par ses propres moyens.

Jean Gabin et Bourvil dans La Traversée de Paris (1956)
Jean Gabin et Bourvil dans La Traversée de Paris (1956)

Le film parvient ici à créer une ambiguïté dérangeante, les intérêts de chaque personnage les poussant à se montrer sous son mauvais jour. Le sympathique devient détestable, le doux devient irascible. On ira jusqu’à jurer sur les plus démunis (Salauds de pauvres !) et à faire chanter ceux qui emploient des juifs en cachette. Chaque arroseur est arrosé, et la tension est palpable durant tout le film, qui met le spectateur dans une position relativement inconfortable, le confrontant à la difficulté à jauger et juger correctement chaque personnage. Quels secrets cachent-ils ? Quelles sont leurs réelles motivations ? La confiance peut-elle exister en ces temps troublés ? La dualité des principaux personnages est parfaitement illustrée dans un tableau particulièrement sombre du Paris sous l’Occupation. Se déroulant sur une nuit, l’intrigue du film nous maintient dans une ambiance nocturne, volontairement sombre, donc, immergeant la ville lumière dans les ténèbres.

De même, le travail effectué sur l’image et le son renforce le sentiment d’isolement dans lequel vivent les personnages principaux du film. Les rencontres sont rares, et elles sont généralement malheureuses. C’est ainsi que La Traversée de Paris parvient à nous maintenir dans ce climat de terreur, face à ce sentiment d’urgence, où toute discussion, même cordiale, peut vite monter dans les tours. Où chaque interaction est calculée pour en tirer profit. Cette inhumanité étouffante permet de mieux faire jaillir les moments de générosité, où le cœur des hommes retrouve un peu de chaleur, laissant alors l’émotion nous submerger. En quatre-vingt minutes, La Traversée de Paris offre une réflexion très intéressante sur son époque, avec des personnages hauts en couleurs mis en valeur dans toute leur complexité, incarnés par des acteurs de renom qui, pourtant, étaient dans le creux de la vague à l’époque. L’histoire n’oublie pas, et ce film est là pour nous rappeler que l’altruisme est (et doit rester) une valeur fondamentale de notre société.

Quentin Coray

Quentin, 29 ans, mordu de cinéma depuis le visionnage de Metropolis, qui fut à l'origine d'un véritable déclic. Toujours en quête de nouvelles découvertes pour élargir mes connaissances et ma vision du cinéma. "L'art existe et s'affirme là où il y a une soif insatiable pour le spirituel, l'idéal. Une soif qui rassemble tous les êtres humains." - Andreï Tarkovski

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.