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Le retour des années 20 – Janet Gaynor : La naissance d’une étoile

Quand les premières grandes stars du cinéma émergèrent dans les années 1910, il y eut des hommes comme Charlie Chaplin et Douglas Fairbanks, mais il y eut aussi et surtout des femmes, comme Mary Pickford, Theda Bara, Lillian Gish ou encore Mae Marsh. Si le cinéma a toujours été un milieu réputé pour être très masculin, il a connu de grandes icônes féminines, qui ont marqué leur temps et, parfois, ont perduré dans la mémoire collective. Les années 20 furent notamment témoins de l’éclosion d’une jeune star à l’allure aussi frêle qu’elle n’était rayonnante, entrant par la petite porte avant de devenir une légende du septième art : Janet Gaynor.

Le retour des années 20 !

Nous voici en 2020. Une nouvelle année, et une nouvelle décennie. Il y a cent ans débutaient celles qui allaient être surnommées les « Années Folles », une période de libération, d’émancipation et d’insouciance, notamment en art, et au cinéma, qui allait entrer dans une fabuleuse décennie riche en chefs d’oeuvre, portée par de grands artistes, marquant de nombreux tournants dans l’histoire du septième art. Cette année, je vous propose donc de revenir sur les années 20, à travers des portraits et chroniques sur les différentes figures, mouvements et événements qui marquèrent les années 20 au cinéma.

Janet Gaynor (1906 - 1984)
Janet Gaynor (1906 – 1984)

Premières années et hésitations

Née Laura Augusta Gainor, le 6 octobre 1906 à Philadelphie, Janet apprend, auprès de son père, la danse, la chanson et l’acrobatie, et joue dans des pièces de théâtre à l’école. Alors qu’elle se familiarise avec des activités liées au secteur artistique, ses parents se séparent, et sa mère se remarie, menant au déménagement de la famille recomposée à San Francisco, où Janet est diplômée de la San Francisco Polytechnic High School en 1923. Si elle suit des études qui semblent la destiner à se diriger vers des domaines tout sauf artistiques, Janet continue à faire du théâtre, avant de déménager, de nouveau, à Los Angeles. Là, elle pourra réellement espérer avoir une carrière d’actrice, et, malgré ses hésitations, elle s’inscrit à la Hollywood Secretarial School, qui dispensent des cours de scénario et de métiers en lien avec les studios. Elle espère alors obtenir un travail de sténographe et gagne sa vie en travaillant dans un magasin de chaussures ainsi qu’en étant placeuse dans des théâtres.

Janet Gaynor (1906 - 1984)
Janet Gaynor (1906 – 1984)

Opportunités et révélation

C’est surtout grâce au support de sa mère et de son beau-père que sa carrière va avoir une chance de décoller. Accompagnée par ce dernier, elle se rend dans divers studios pour tenter de décrocher des rôles, jusqu’à parvenir, enfin, à être engagée comme figurante fin 1924 dans un court-métrage comique réalisé par Hal Roach. Si ces débuts sont très modestes, il constituent une étape essentielle qui ouvrent désormais la voie à la jeune Janet Gaynor, qui va à plusieurs reprises être de nouveau engagée comme figurante dans des films produits par la Film Booking Offices of America et par Universal, de 1924 à 1926. Universal va finir par l’engager et lui offrir un test en tant qu’actrice secondaire dans The Johnstown Flood en 1926. L’essai sera concluant, car elle est alors repérée par la Fox, qui lui offre un contrat de cinq ans, et Janet Gaynor est sélectionnée parmi les révélations féminines de l’année par la Western Association of Motion Picture Advertisers aux côtés d’autres futures grandes stars comme Joan Crawford, Dolores Costello et Fay Wray. C’est le début de l’apogée pour Janet Gaynor.

Janet Gaynor et Charles Farrell dans L'Heure Suprême (1927)
Janet Gaynor et Charles Farrell dans L’Heure Suprême (1927)

Un étoile est née

1927 sera l’année de la consécration pour Janet Gaynor. Nouvelle star de Hollywood, elle va décrocher deux de ses rôles les plus importants. Le premier sera dans L’Heure Suprême, réalisé par Frank Borzage, pièce maîtresse de la filmographie du cinéaste. Ici, Janet Gaynor incarne une pauvre jeune fille, vivant sous le joug d’une sœur tyrannique et alcoolique, et qui va rencontrer un jeune homme qui va lui permettre d’entrevoir l’espoir d’une vie meilleure. Le jeune homme est joué par nul autre que Charles Farrell, qui partagera l’affiche avec Janet Gaynor dans 12 films, faisant d’eux l’un des duos les plus mythiques de l’histoire du cinéma, sans oublier le fait que les deux acteurs entretiendront une relation, en toute discrétion. Charles Farrell disait : « Janet et moi recevions toujours des cadeaux de mariage ou d’anniversaire dans notre courrier, aux soins du studio. Les fans ne savaient même pas quand tombait notre date d’anniversaire, ce qui est logique, puisque nous ne nous sommes jamais mariés. » Peu importe, l’alchimie fonctionne à merveille, et permet au film de Frank Borzage d’être une superbe fable romantique et humaniste.

George O'Brien et Janet Gaynor dans L'Aurore (1927)
George O’Brien et Janet Gaynor dans L’Aurore (1927)

Mais l’année ne se termine pas ici pour Janet Gaynor. C’est devant la caméra d’un autre très grand cinéaste qu’elle va à nouveau marquer l’histoire : Friedrich Wilhelm Murnau, le réalisateur de L’Aurore. Souvent classé parmi les tous meilleurs films de tous les temps dans les classements qui circulent, il se présente comme un superbe hymne à l’amour, aussi cruel que désiré, détruit et ressuscité, dans lequel Charles Farrell cède sa place à George O’Brien aux côtés de Janet Gaynor, mais la magie opère à nouveau. Profondément touchante et émouvante, Janet Gaynor y livre une sublime prestation, poursuivant son inlassable ascension vers les cimes de Hollywood.

Janet Gaynor et Charles Farrell dans L'Ange de la Rue (1928)
Janet Gaynor et Charles Farrell dans L’Ange de la Rue (1928)

Son film suivant sera L’Ange de la Rue, qui sort en 1928, nouveau film de Frank Borzage où elle partage l’affiche avec Charles Farrell. D’une certaine manière, le film suit les traces de L’Heure Suprême, suivant une structure narrative similaire, et offrant à Janet Gaynor un nouveau rôle de jeune femme victime d’infortunes, devant se battre pour survivre. Plus espiègle et affirmée, elle charme une nouvelle fois le spectateur, montrant l’image d’une femme à l’allure frêle, mais qui fait preuve de détermination, qui souffre mais qui ne veut surtout pas faire souffrir, dans la continuité de ses rôles précédents, et dans la lignée des suivants.

Janet Gaynor et Charles Farrell dans Lucky Star (1929)
Janet Gaynor et Charles Farrell dans Lucky Star (1929)

En 1929, elle retrouve Murnau pour Les Quatre Diables, un film, hélas, perdu. Impossible de ne pas se demander ce que pouvait être ce film, tant Janet Gaynor resplendissait deux ans auparavant devant la caméra de Murnau. Mais c’est à nouveau chez Frank Borzage qu’elle se distingue en cette année 1929, avec Lucky Star. Elle y est une nouvelle fois associée à Charles Farrell dans un film dont la Première Guerre Mondiale sera un élément perturbateur majeur, pour faire de ces deux êtres deux isolés qui finiront par trouver leur voie ensemble. Dans une atmosphère assez expressionniste, ce Lucky Star permet au duo de mettre en lumière cette alchimie unique, où Janet Gaynor tient un rôle rappelant celui qu’elle tient dans L’Ange de la Rue, toujours accablée par la pauvreté, mais toujours espiègle et rayonnante.

Douglas Fairbanks remettant l'Oscar de la meilleure actrice à Janet Gaynor (mise en scène, vers 1929)
Douglas Fairbanks remettant l’Oscar de la meilleure actrice à Janet Gaynor (mise en scène, vers 1929)

Alors que les années 20 se terminent, le cinéma muet disparaît également, mais pour Janet Gaynor, c’est tout sauf la fin. C’est cette année, le 16 mai, que fut tenue la première cérémonie des Oscars (qui n’avaient pas encore ce nom à l’époque), dans un format très différent de ce que nous pouvons voir aujourd’hui. Déjà nommés plusieurs mois auparavant, les lauréats reçurent leur prix au cours d’une cérémonie qui ne dura que 15 minutes, l’événement ressemblant plus à un grand banquet conviant tout le gratin d’Hollywood. Par ailleurs, il s’agit de l’unique cérémonie qui ne fut enregistrée ni à la radio, ni à la télévision. Ce fut, en tout cas, la consécration pour Janet Gaynor, qui devint la première lauréate de l’Oscar de la meilleure actrice non pas pour un, mais trois rôles (L’Heure Suprême, L’Aurore et L’Ange de la Rue), fait unique dans l’histoire des Oscars. A seulement 22 ans, elle sera la plus jeune lauréate pendant de nombreuses années, et Hollywood est maintenant à ses pieds. Elle déclarera, par ailleurs : « Naturellement, j’étais ravie, mais ce n’était que la première année, les Oscars n’avaient ni passé ni tradition, et cela ne signifiait logiquement pas ce que cela signifie aujourd’hui. Si j’avais su ce que cela représentait quelques années plus tard, je suis sûre que j’aurais été bouleversée. A cette époque, je pense que j’étais surtout ravie de rencontrer Douglas Fairbanks. »

Fredric March et Janet Gaynor dans Une étoile est née (1937)
Fredric March et Janet Gaynor dans Une étoile est née (1937)

Le passage au parlant se fera naturellement et sans accroc pour elle. Elle dit d’ailleurs : « Je pense que ce que j’avais de particulier, c’est la sincérité. C’est ce qui m’a permis de passer le cap du muet au parlant. Ma voix a été critiquée, parfois violemment, et je pense que j’ai réussi uniquement parce que je suis sincère. » Sa voix, elle la fera justement entendre dans le film musical Sunny Side Up, encore aux côtés de Charles Farrell, en 1929, avant d’aborder les années 30 en étant l’une des plus grandes stars de la Fox. Cette nouvelle décennie sera celle de la consécration, avec d’autres rôles de premier plan dans des films à grands succès comme Papa Longues Jambes (1931), La Foire aux Illusions (1933), Quatre femmes à la recherche du bonheur (1936), et, bien sûr, la première version cinématographique d’A Star is Born (1937).

Janet Gaynor (1906 - 1984)
Janet Gaynor (1906 – 1984)

A seulement 33 ans, Janet Gaynor prend sa retraite au faîte de sa gloire, pour profiter de sa vie de famille. En un peu plus de dix ans, elle passa de la jeune femme aux rêves intouchables, à la star incontournable d’Hollywood. Jouant des rôles de premier plan dans certaines des plus grandes œuvres de la fin de l’époque du cinéma muet, elle devint une icône intemporelle, touchant le cœur de millions de spectateurs à travers le temps, grâce à la sincérité dont elle faisait preuve, et qu’elle revendiquait.


Précédemment dans « Le retour des années 20 » : 

Buster Keaton : Du rire aux larmes

Lon Chaney : L’Homme aux mille visages

Quentin Coray

Quentin, 29 ans, mordu de cinéma depuis le visionnage de Metropolis, qui fut à l'origine d'un véritable déclic. Toujours en quête de nouvelles découvertes pour élargir mes connaissances et ma vision du cinéma. "L'art existe et s'affirme là où il y a une soif insatiable pour le spirituel, l'idéal. Une soif qui rassemble tous les êtres humains." - Andreï Tarkovski

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