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De l’aube à minuit (Karl-Heinz Martin, 1920) : Distorsion mentale

Aujourd’hui, intéressons-nous à une curiosité méconnue et oubliée. Au début des années 20, l’expressionnisme prend de plus en plus d’ampleur dans le cinéma allemand, notamment avec Le Cabinet du Docteur Caligari (1920). Film radical et à l’esthétique marquée, manifeste du mouvement, il cache, dans son ombre, un autre film tout aussi singulier et étrange, De l’aube à minuit.


Fiche du film

Affiche de De l'aube à minuit (1920)
Affiche de De l’aube à minuit (1920)
  • Genre : Drame
  • Réalisateur : Karl-Heinz Martin
  • Distribution : Adolf Edgar Licho, Eran Morena, Ernst Deutsch
  • Année de sortie : 1920
  • Synopsis : Le caissier d’une banque décide, un jour, de voler la caisse et de s’en aller à la ville (Berlin). Celui-ci ira de déconvenues en déconvenues au fur et à mesure des stations qu’il traversera. (SensCritique)

Critique et Analyse

De l'aube à minuit (1920)
De l’aube à minuit (1920)

Réalisé par Karl-Heinz Martin, le film nous fait faire la rencontre d’un caissier de banque qui, un jour, décide de dérober une importance somme d’argent. Décati, à l’allure inquiétante, il n’inspire pas confiance, et il fait même peur. Cependant, sa richesse et sa réussite croissante, obtenues grâce à son larcin, vont peu à peu le transformer. Comme dit précédemment, De l’aube à minuit est noyé dans l’ombre de Caligari, que l’histoire a décidé de retenir, alors que le film de Karl-Heinz Martin en est un contemporain, voire un prédécesseur, son principal tort étant, en réalité, de ne jamais être sorti en Allemagne à son époque.

« Avec Caligari, De l’aube à minuit constitue un des manifestes du cinéma expressionniste allemand, étant à la fois une base dans son aspect très sommaire, qu’un film qui pousse l’expression du mouvement à son paroxysme. »

Nous retrouvons ici tous les éléments qui font la particularité du cinéma expressionniste : prééminence des jeux d’ombre et de lumière, notamment grâce à des décors peints, avec des paysages déformés, des courbes et des lignes brisées, un aspect très théâtral, autant dans la mise en scène que dans le jeu des acteurs… Mais la principale singularité du film est qu’il manifeste son appartenance à l’expressionnisme dans sa forme la plus radicale, plus encore, même, que Le Cabinet du Docteur Caligari. Les décors sont encore plus sommaires, faisant parfois penser à une scène de théâtre, tout est aussi minimaliste dans l’utilisation des moyens, que poussé dans la vision artistique. Avec Caligari, De l’aube à minuit constitue un des manifestes du cinéma expressionniste allemand, étant à la fois une base dans son aspect très sommaire, qu’un film qui pousse l’expression du mouvement à son paroxysme.

De l'aube à minuit (1920)
De l’aube à minuit (1920)

A l’instar du film de Robert Wiene, le film s’inscrit dans un décor et un espace qui vise à retranscrire l’état mental du personnage principal, comme dans la grande majorité des films expressionnistes. Ici, l’argent est une obsession, un facteur d’espoir, à l’image d’une République de Weimar qui se relève péniblement et qui tente de s’enrichir. Cependant, cet espoir aveugle et rend fou. Les décors tarabiscotés et la mauvaise mine du caissier, au début du film, associent sa pauvreté à son mal-être général. Mais son succès, obtenu grâce au vol, ne l’éloigne jamais du péril qu’il encourt, représenté par une mort déguisée qui le rattrape toujours et qui lui rappelle le funeste destin qui le menace. Cette idée de de la représentation d’un idéal dans un contexte défavorable entretient cette allure de rêverie générale que déploie le film, toujours à la frontière de l’imaginaire et du réel.

Par sa radicalité et l’ambiance anxiogène qui s’en dégage, De l’aube à minuit est un film assez obscur, véritable curiosité mêlant débrouillardise et fortes ambitions artistiques. L’exercice de style et l’ambiance qui se dégagent du film sont tels qu’ils parait tout droit sorti des premiers temps du cinéma, avec une imagerie et une mise en scène rappelant parfois beaucoup le cinéma de Georges Méliès. Certes peut-être moins marquant que Le Cabinet du Docteur Caligari, il n’en demeure pas moins un élément essentiel du mouvement expressionniste dans le cinéma allemand, et le reflet d’une période de trouble dans l’histoire de l’Allemagne.

En résumé

Note et avis

Véritable curiosité, De l’aube à minuit est un délire expressionniste encore plus brut que Caligari, avec ces mêmes décors difformes issus de la conscience du personnage principal. On se croirait même parfois presque chez Méliès et dans le cinéma des débuts. Étonnant.

Note globale
6.5/10
6.5/10

Quentin Coray

Quentin, 29 ans, mordu de cinéma depuis le visionnage de Metropolis, qui fut à l'origine d'un véritable déclic. Toujours en quête de nouvelles découvertes pour élargir mes connaissances et ma vision du cinéma. "L'art existe et s'affirme là où il y a une soif insatiable pour le spirituel, l'idéal. Une soif qui rassemble tous les êtres humains." - Andreï Tarkovski

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